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L’ange

 

 

de

 

Roumanie

 

 

Mariés depuis 1984, mon épouse et moi désirions un enfant plus que tout au monde.  Jusqu’à tout récemment, cette grande joie d’être parents n’était jamais venue, un peu comme si le destin en avait décidé ainsi.  En 1996,  quelques jours avant la mort de mon père, Lise et moi décidions de nous en remettre à l’adoption internationale afin de réaliser le rêve que les couples du monde entier caressent à un certain moment de leur vie.  Nous connaissions l’existence de plusieurs organismes œuvrant dans le domaine de l’adoption internationale au Québec, l’un d’entre eux étant l’Agence québécoise d’adoption internationale, qui gère, à partir de chez nous, l’adoption d’enfants orphelins de la Roumanie, un pays accablé par d’énormes problèmes économiques.  À ce qu’on nous disait, des centaines de milliers d’enfants y  étaient abandonnés sans espoir d’une vie meilleure.

En août 1996, nous avons finalement fait notre demande officielle à l’Agence québécoise d’adoption internationale afin de réaliser notre rêve : avoir un  enfant à nous.  Plusieurs étapes se sont succédées depuis ce moment, jusqu’au jour inoubliable où l’adoption de notre petite Alicia fut finalement complétée en juin 1998.  L’une de ces étapes consistait à visiter l’enfant dans le milieu où il vivait, c’est-à-dire l’orphelinat de Sibiu,  situé au centre de la Roumanie.

C’est donc dans une atmosphère chargée d’émotions qu’en janvier 98, je quittais la ville de Québec afin d’aller  rencontrer  celle qui devait un jour devenir notre enfant.  Mon épouse ne pouvant m’accompagner pour des raisons professionnelles,  je devais donc me rendre  en Roumanie, quittant notre maison tout fin seul, et ce,  pour la première fois depuis le jour de notre mariage,  en 1984.  Ce voyage en Europe fut, sans contredit, le moment le plus angoissant de toute ma vie.  Je me questionnais sans cesse sur ce qui m’attendait dans ce pays inconnu et lointain.  Je m’inquiétais aussi beaucoup de la santé de l’enfant, qui vivait alors dans un milieu qui n’a rien de comparable avec ce que vit un enfant ici. 

Aujourd’hui,  plusieurs mois plus tard, quand je repense à ce voyage, il m’arrive encore d’avoir la larme à l’œil.  Je rêve de ce moment unique où,  pour la première fois, j’ai rencontré notre petite Alicia.  Quand je l’ai finalement prise dans mes bras, ce fut comme si une tonne de plomb venait de disparaître de mes épaules.  Je la trouvais merveilleuse, cette belle enfant.  À voir sa mine réjouie de se sentir aimée, tous les doutes sur sa santé tombèrent dès lors, ce qui me sécurisa énormément.  J’oubliais d’un seul coup que j’avais dû quitter les miens pour me rendre en Roumanie.  Le destin avait placé   sur ma route un ange qui me tendait les bras.

Avant de partir, je m’étais promis de mettre sur papier tous les détails, tous les événements importants du voyage.  Je voulais le faire surtout  pour mon épouse qui avait été retenue à la maison et qui n’avait pas pu  partager avec moi  chacun de ces précieux instants.  Le départ de Québec, les voyages en avion, le séjour là-bas  ainsi que ma rencontre avec notre ange.  Je crois bien n’avoir oublié aucun détail entourant cette magnifique semaine.  Peut-être qu’un jour ce manuscrit deviendra le plus bel héritage que je pourrai laisser à notre enfant ;  et si la vie nous le permet, je souhaite que nous puissions relire cette belle histoire encore très longtemps, juste pour nous  remémorer les moments magiques vécus lors de l’adoption de cette merveilleuse petite fille. Voici donc le récit détaillé de ce merveilleux roman d’amour, l’histoire de l’adoption d’Alicia, celle que j’ai surnommée l’Ange de Roumanie.


JEUDI, 29 JANVIER 1998

Cinq heures du matin. Je viens de me lever et je prends mon café tout fin seul dans le salon, Lise dort encore profondément. J’ai eu un sommeil perturbé cette dernière nuit, angoissé comme jamais à penser que dans quelques heures j’allais quitter le milieu de vie que j’aime afin de me rendre au–delà des océans pour rencontrer l’ange de Roumanie.  Jamais de toute ma vie je ne m’étais senti aussi mal, me demandant sans cesse ce qui allait m’arriver une fois que j’aurai quitté Lise pour la première fois depuis que nous vivons ensemble.  Mais je devais le faire; il fallait que je me rende là-bas afin de voir de mes yeux celle qui pourrait devenir notre enfant.  En attendant que Lise  se lève, je vérifiai mes bagages, histoire de ne rien oublier.  J’avais le cœur gros dans la poitrine.  Avec Lise, j’irais voir ma famille avant de partir; dernier au revoir à toutes les personnes que j’aime. 

Onze heures du matin.  En revenant du centre commercial, il y a de ça quelques minutes, Lise pleurait à chaudes larmes. Je ne l’avais jamais vu pleurer autant depuis que je la connais, déchirée disait-elle  de me voir partir si loin.  Et moi aussi je pleurais,  brisé à l’idée  de me séparer d’elle pour une semaine.  Mais le destin avait choisi pour nous, et rien ni personne ne pouvait s’opposer à ces événements que je  devais  vivre seul, dans un pays dont je ne connaissais rien d’autre  que le nom. Bien sûr,  que depuis des lunes,  je rêvais d’aller un jour en  Roumanie; comme si ma ligne de  vie avait décidé depuis longtemps déjà, qu’un petit ange issu de ce lointain pays  viendrait embellir nos vies.  Mais jamais je n’aurais pensé que mon rêve se réaliserait dans de telles circonstances. Comme toujours, Lise avait préparé un bon dîner que nous avons partagé  ensemble avant mon départ.  Durant ce repas, nous avons très peu parlé, les émotions étaient tellement fortes que nous n’avions même plus la faculté de nous exprimer.

 

Une heure quarante cinq. Je viens de quitter Québec.  J’ai encore le cœur gros d’avoir laissé les miens :  Lise me manque déjà, ma famille, mes amis, même mes trois chats. Je pense aussi à ma mère, à  ma sœur Susan ainsi qu’à Luc,  son mari.  Je pense à Chantal et à  Hélène mes deux belles-sœurs,  ainsi qu’à Thérèse ma belle-mère.

Je regarde par la fenêtre de l’autobus qui m’amène à Dorval et je vois déjà le panneau d’affichage qui annonce le village de Sainte- Croix. Il y a longtemps, lorsque ma famille et moi arrivions ici, je me souviens que nous laissions la route 20 pour nous rendre dans ce village, là  où mon papa avait grandi.  Deux  ans déjà qu’il nous a quittés. Il me manque tellement.  Je sais qu’en ce jour mémorable, il pose sa main sur mon épaule. Je lui ai demandé hier soir,  juste avant de m’endormir.  Habituellement, quand je prends l’autoroute, c’est soit pour aller voir un client où bien pour me rendre à Cornwall,  en Ontario, chez ma belle- sœur Hélène. Aujourd’hui, le but de mon voyage est bien différent :  aller en Roumanie, là où  je sais qu’un tout petit être m’attend, là où l’espoir d’une longue vie  est bien mince, à moins  de trouver des parents à aimer.  C’est sans doute  le destin qui m’a  placé sur ce chemin car pour moi,  visiter le pays de Nadia Comaneci, la petite fée  que nous avons tant aimée aux Jeux olympiques de Montréal en 1976 était un rêve que je caressais depuis lors.

Val Alain.  Comme le temps passe vite  bien  que je sois loin de ceux que j’aime. J’ai peur de m’approcher  du but. S’il fallait que  tout rate!  Depuis mon départ, je ne cesse de vérifier si j’ai toujours mon passeport avec moi car c’est le plus important  bout de papier dont j’ai besoin pour me rendre à destination.


ZONE DE GUERRE

L’autobus vient de dépasser la sortie de Drummondville.  C’est ici que demeure mon amie Michèle, une amie que je ne vois pas très souvent, en fait, rarement.  Mais elle demeure toujours mon amie. Et en de pareilles circonstances, cette amitié m’apparaît encore plus importante.

Quel triste spectacle dehors !  Tout  au long de la route les arbres sont  morts, dévastés par le satané verglas. Plusieurs lignes électriques frottent le sol.  Je prends conscience jusqu’à quel point  les gens d’ici ont dû souffrir sans électricité pendant  ces jours froids de l’hiver. Au loin, certains pylônes électriques sont complètement tordus. C’est bizarre; c’est comme si la guerre était passée tout juste hier.  Tous ces événements donnent une bonne leçon d’humilité aux humains,  à nous tous  qui sommes tellement fiers de nos spectaculaires réalisations. Aujourd’hui, on  se promène dans l’espace, on navigue sur internet,  l’information traverse les frontières ; mais une seule tempête de verglas a vaincu notre supposée domination sur la terre.  Nous devrons retenir cette leçon : à l’avenir, nul ne devrait se penser plus fort que la nature.

Je suis heureux qu’aujourd’hui ne soit pas  un jour de verglas. Qu’arriverait-il à l’avion si ses immenses ailes de métal se couvraient de glace?  Le destin a voulu qu’en ce jour la température soit belle et j’en remercie le Ciel. À propos  d’avion, cela fait presque vingt ans que je ne suis pas monté dans le ventre d’un tel oiseau. La dernière fois, en 1979, j’allais faire la fête à Acapulco avec des amis. Si à cette époque,  une personne m’avait prédit qu’un jour j’allais à nouveau prendre l’avion  pour aller prendre dans mes bras un petit enfant,  je ne l’aurais certainement pas cru. La vie est bizarre  parfois !  Elle nous prend par le collet et nous bouscule sans que l’on sache pourquoi.   Je dépasse maintenant St- Hyacinthe.  Ce n’est vraiment pas joli ici non plus.  Moi qui ne cesse de répéter qu’il ne se passe jamais rien à Québec!  Pour une fois, je suis bien content que cette affreuse tempête  ne soit pas tombée chez nous.

Je suis assis bien confortablement dans l’autobus, et je cherche ce qui ne va pas chez moi; une sorte d’angoisse incontrôlable me mine par en dedans.  Je voudrais à la fois  reculer et avancer le temps. Tout est ambigu et flou dans ma tête. Je souhaite que mon  voyage se passe bien et que, dans une semaine, je puisse annoncer à Lise que notre fille est merveilleuse. Mais présentement, je ne sais quoi dire ou  penser. Je dois attendre les événements.  Je trouve ces instants très difficiles à vivre, tout va  trop vite et trop lentement  à la fois.

J’aperçois enfin  les édifices de la ville de Montréal. Je pense à  l’époque de ma jeunesse où, avec mes parents, nous venions assister aux matchs de baseball. À toutes les fois que nous approchions de Montréal, je surveillais les hauts édifices. Aujourd’hui, c’est plutôt  de l’aéroport de Dorval que je m’approche, et c’est  un avion me fera traverser les océans. Dans trente minutes je serai rendu à l’aéroport. C’est fantastique tout ceci !


DORVAL

Il est beaucoup plus facile d’écrire bien calé dans un siège, à l’aéroport. C’est la première fois que je viens ici et je suis très impressionné. C’est immense.  D’ici, j’aperçois  tous les avions qui ne cessent de décoller et d’atterrir,  et j’ai envie de rire quand je compare tout ce trafic à celui de  notre petit aéroport de Québec. Dire qu’on lui a donné le nom d’aéroport  « international ».  Franchement, il faudrait que certains viennent voir  ici ce que c’est  un véritable trafic aérien.

Malgré tout, je trouve bien calme l’endroit où j’attends  présentement, un lieu où il n’y a pas beaucoup de passants. À ma gauche, je peux voir l’avion qui m’amènera  à Amsterdam. Quel mastodonte!  On peut  difficilement croire qu’un tel monstre d’acier  puisse  monter vers  le ciel.  Mais dans quelques instants, l’avion quittera le sol et je pourrai apprécier  sa puissance. 

Six heures. Dans trente minutes on entendra  le premier appel. Une chance que j’ai apporté  un  stylo, sinon comment pourrais-je exprimer mes émotions?  Jamais de toute ma vie, je ne me suis senti aussi anxieux; quelque chose de puissant et d’inconnu semble me dévorer à l’intérieur. C’est peut-être ça la grande solitude; un état d’âme difficile à comprendre ou à maîtriser. Je pense à la petite Roumaine qui ne me connaît pas encore.  J’ai vu sa photo, j’ai visionné une cassette qui laissait voir combien est belle,  cette petite fille. J’étais déjà amoureux de cette enfant sans savoir si elle nous appartiendra un jour. Il reste encore beaucoup d’étapes à franchir avant que le dossier d’adoption ne soit terminé.  Il m’arrive d’avoir peur que quelque pépin ne vienne briser notre rêve.

Je regarde dehors; des hommes transportent les bagages à l’intérieur de l’avion. Espérons qu’ils n’oublieront pas les miens car dedans, j’ai des cadeaux pour l’enfant. Je ne cesse de regarder à l’intérieur de mon sac pour  vérifier si j’ai toujours mon passeport. C’est  devenu une véritable idée fixe, mais sans mon passeport, pas de Roumanie. Et sans Roumanie, pas d’ange dans notre vie. Alors,  s’il le faut, je regarderai cent fois dans mon sac afin de m’assurer que je n’ai pas égaré la clé du paradis.

Six heures trente.  On vient d’appeler les passagers de notre vol.  Je laisse  mon stylo car je ne veux pas rater mon rendez-vous avec le destin. Mais bon Dieu que mon cœur bat vite!  Les gens autour de moi doivent lire sur mon visage toute l’angoisse et l’émotion qui m’étouffent; mais cela ne me dérange aucunement. Je me présente à la barrière;  un premier pas vers  la conquête du bonheur. Enfin, rien ne peut plus m’empêcher de réaliser le rêve de notre vie.  Au revoir tout le monde !


 EN PLEIN CIEL

Il est sept heures vingt. Je suis bien assis dans un siège de la rangée vingt de l’avion KLM et je n’ai toujours pas bouclé ma ceinture de sécurité. Je ne sais pas si je vais dormir durant le voyage. Je voudrais tellement vivre intensément chacune  minute qui se présente à moi.  Malgré toutes les émotions qui m’assaillent, il semble que mes vieux démons surgissent car depuis quelques minutes, je ne cesse d’apprécier la beauté des agents de bord. Si mes amis Bernard et Marc étaient là, ils seraient certainement occupés à faire une évaluation du physique des hôtesses de l’air. 

Après quelques minutes,  il semble que l’avion commence à rouler sur la piste, mais je sens encore le frottement des roues sur  le sol.  Je me sens un peu nerveux, mon regard se promène d’un côté à l’autre. Il ne fait pas de doute que je n’ai plus le contrôle de la situation.  C’est étrange,  mais en même temps que l’avion prépare son envol, je pense à toutes les personnes qui sont incapables de conduire correctement un panier d’épicerie.  Les pilotes,  eux,  se préparent à monter dans le ciel aux commandes de  ce monstre d’acier ;   quelle différence n’est-ce pas?  L’avion roule de plus en plus vite; j’ai l’impression que mon dos s’enfonce dans le fauteuil tellement l’accélération est puissante. Maintenant les roues quittent le sol et je n’aime pas cela. Je l’avoue, j’ai peur.  À la grâce de Dieu !

Présentement, à plus de dix mille mètres dans le ciel, je regarde le film Jurassic park « deuxième partie ».  L’été dernier, j’étais allé voir ce film et j’avais adoré.   Au moment où j’écris ces lignes, je sens quelques petites turbulences.  Ce  n’est rien à côté des routes du Québec, sauf qu’en auto, quand j’en ai assez de me faire brasser, j’arrête, j’ouvre la portière et je descends, mais ici, ce serait assez difficile de descendre pour relaxer.

 

Il est dix heures trente, heure du Québec. Je ne veux pas changer l’heure de ma montre tout de suite, comme si je me trouvais encore à la maison. Le repas était  succulent malgré le fait que je préfère la cuisine de Lise.  Les hôtesses  sont très serviables avec les passagers. Je les trouve très belles,  ces filles, pas mal plus jolies que la mairesse Boucher.

Je pense à ceux que j’aime, à Lise surtout. Mais ma pensée va surtout  vers cette petite  Roumaine qui dort certainement à l’heure qu’il est. Je me demande à quoi ça peut bien penser un petit ange comme celui avec qui j’ai rendez-vous. Probablement qu’il doit rêver au jour où une maman et un papa lui tendront les bras!  Enfin, si tout peut se dérouler comme je le souhaite ! Rien ne m’en assure, loin de là. S’il fallait que je trouve cet enfant malade ! J’aime autant ne pas y penser car si cela devait arriver, je n’ose imaginer combien le temps me paraîtra long  si loin de ma famille.  Il faut que je garde confiance. Depuis plusieurs années,  la vie me fait des faveurs; pourquoi,  tout à coup,  me jouerait-elle un sale tour?

Le commandant nous annonce que nous arriverons à Amsterdam dans trois heures. Cette expérience de vie est tout simplement fantastique. Jamais je n’aurais pensé vivre des moments aussi exaltants ! Je répète que j’aimerais que papa soit là pour assister à tout ce bouleversement, lui qui nous aimait tant.  Comment pourrait-il nous oublier?

J’ai très hâte d’arriver à Amsterdam. On dit que les filles sont très jolies en Hollande!  C’est une observation que je pourrai faire par moi-même. Pourrais-je trouver le temps de regarder les filles alors que je suis préoccupé par cette petite fille qui a droit à un peu de bonheur?  Dans le fond, pourquoi pas;  cela se fait sans perte de temps; un seul coup d’œil peut me convaincre.

 

 

Une heure avant Amsterdam.  Je suis harassé par les satanés moteurs qui grondent sans arrêt.  Je me console cependant à la pensée que dans quelques minutes, le pilote entreprendra les manœuvres de descente. Il est une heure du matin à Québec. Tous ceux que j’aime dorment profondément en ce moment;  je gagerais même que les trois chats me cherchent encore sous les couvertures. Dans quelques instants, je bouclerai ma ceinture de sécurité, ce qui me fait bien rire.  Je voudrais bien que quelqu’un me dise à quoi cela servirait si  on piquait du nez.

En regardant à l’horizon, il me semble que le jour commence à poindre, une toile rougeâtre commence d’ailleurs à se dessiner. Le ciel semble soudain s’allumer,  comme si on courait après le soleil.  Cette observation fait oublier toute l’angoisse qui me tenaille encore. Un  gargouillis se fait entendre dans mes tripes, j’en ai presque la nausée. « Tient bon,  me dis-je, tu es tout près du but. »

Mais je ne cesse de penser à l’enfant proposée par l’agence d’adoption de Bucarest.  J’aurais dû apporter avec moi la photo qu’on nous avait remise en décembre dernier, juste pour pouvoir lui dire que je suis  amoureux d’elle.  Malgré toute l’affection que je lui porte déjà, et ce, sans même la connaître vraiment, il m’arrive de penser que tout  n’est qu’un mirage et que jamais notre désir ne deviendra réalité. C’est cela, je crois, que je trouve le plus difficile à vivre intérieurement; aimer un enfant sans l’avoir vu, mettre tant de foi dans l’espoir  qu’un jour il sera avec nous, et pleurer rien qu’à penser que ce rêve pourrait ne jamais se réaliser. Lise,  elle, n’avait jamais changé d’idée, sachant qu’un jour l’ange de Roumanie viendrait embellir notre vie. Jamais elle n’a perdu espoir que notre rêve ne se réalise. Mais chez nous, la personne forte, c’est Lise; certainement pas moi. On dirait qu’en vieillissant, les émotions me brassent de plus en plus jusqu’à  m’étrangler.  Combien de nuits ai-je perdues à me questionner sur la santé de l’enfant?  Que d’heures d’angoisse!  Lise ne cessait jamais de me répéter que tout irait pour le mieux.  Combien de fois les personnes qui travaillent à l’agence d’adoption m’ont-elles dit d’avoir confiance,  que tout se passerait bien?  Mais c’était comme si je ne voulais pas croire au nouveau bonheur que la vie m’offrait enfin.   Plus j’y pense, plus je me dis qu’avec le temps,  je deviens un homme compliqué.  Mais je suis ainsi fait et je dois m’accepter.

Je constate que l’avion perd de l’altitude. D’ailleurs,  le bruit des réacteurs semble vouloir me donner un peu de répit et on dirait que des mains invisibles tentent de retenir l’avion.  Plus que quelques minutes avant de toucher le sol de la Hollande. Les oreilles me font mal et la pression semble vouloir écraser ma tête.  Nous commençons à percer les nuages car je vois déjà les lumières de la ville. J’entends le train d’atterrissage qui prend  sa position pour permettre à l’oiseau d’étendre ses ailes tout près du sol. Incroyable,  quand même,  toute cette technologie !

Le béton de la piste d’atterrissage vient vers nous à une vitesse folle; plus que quelques secondes et l’avion se posera. Tout simplement fantastique comme sensation. Enfin, nous sommes arrivés.   «  Bienvenue à Amsterdam. »


LE PAYS DES TULIPES

Le pays des fleurs?  Pourtant, il me semble que je n’en ai pas vu aucune !   Il faut dire que même en Hollande, les fleurs poussent difficilement à travers la neige ! Depuis trois heures, je me promène dans l’aéroport,  cet immense carrefour du transport aérien. Je suis très impressionné.

J’entends des langues étrangères et je trouve ça beau. On se croirait dans un immense rassemblement où se côtoient toutes les nations du monde. J’aime arpenter les grands corridors de l’aéroport; cela me permet de me mêler à des gens que je n’aurais jamais  pensé côtoyer un jour. Les langues suédoise, italienne, sont agréables à entendre. Les Espagnols s’engueulent avec des Allemands. Vraiment excitant tout ça!  J’aime tous ces citoyens du monde même si je ne les connais pas. Pourtant, quand je pense à tous ces peuples qui s’entremêlent, je pense aussi à toutes ces années perdues alors que les  habitants de l’Europe vivaient dans l’angoisse qu’une bombe ne vienne assombrir une fête de famille. Comme le monde a été stupide.

Je me promène devant les boutiques de l’aéroport. Mon regard est attiré par la pochette du dernier disque de Céline Dion.  En entrant dans le magasin de disques, j’ai tout de suite cherché la section des disques des Beatles, juste pour voir s’ils étaient toujours populaires ici. Parlant des Beatles, c’est  ici, à Amsterdam, que John Lennon et Yoko Ono ont passé une partie de leur voyage de noces en 1969; plus précisément au Amsterdam Hilton.

J’ai parcouru le monde en  quelques heures. Je me suis maintenant confortablement installé à une table d’un petit restaurant de l’aéroport et je sirote un café que je viens de commander. Sans arrêt, je regarde ma montre, obsédé par la peur de manquer le départ pour la Roumanie.  Ce rendez-vous avec le destin, je ne voudrais le rater pour rien au monde; chance unique de rencontrer l’amour.  Je regarde les avions qui décollent et atterrissent continuellement et ce spectacle  me fascine énormément. Jamais de  toute ma  vie je n’ai rien  vu de tel.  Absolument ahurissant !

Dix heures :  heure de l’appel.  Encore une fois,  mon cœur est frappé par une drôle de sensation. Depuis quelques minutes, je tente de me mêler à tous ces gens qui attendent. Entendre,  pour la première fois de ma vie la langue roumaine, c’est tout un espoir !   D’ailleurs je crois  avoir remarqué deux Roumains qui échangeaient des propos, un premier contact avec ce pays que j’aime déjà.  Je laisse reposer mon stylo quelques minutes, le temps de prendre place dans l’avion. Après, je laisserai le destin décider. Je m’en remettrai alors à la vie, sans oublier que, depuis toujours elle fut bonne pour moi.

Je suis confortablement installé dans l’avion qui lui, n’attend plus que le signal du départ.  Pour la première fois, j’ai pu parler à un Roumain s’exprimant parfaitement en anglais. Au premier abord, il semble très sympathique.  À l’extérieur de l’avion, je ne vois que des nuages.  Le ciel est bas présentement, pas assez cependant pour empêcher l’avion de le transpercer avec son museau d’acier et ses ailes coupantes. Dans quelques minutes,  l’avion quittera le sol et à nouveau je vivrai une sensation absolument unique dans ma vie.  Destination :  Bucarest


AU PAYS DE L’ANGE

J’ai ressenti une vive émotion en foulant du pied cette terre qui jadis  nous a été  hostile, mais qui semble aujourd’hui si accueillante. C’était prévisible : tout s’est bien déroulé aux douanes. J’ai pu récupérer mes bagages.  Quelques instants plus tard, à Bucarest, j’ai rencontré mon guide,  monsieur Florian, un homme qui s’exprime très  bien en français. Dans sa voiture qui me conduit à l’appartement, je regarde la ville et je suis très impressionné.  Je lui pose beaucoup de questions sur ce pays auquel il semble très attaché.  La première chose qui me frappe alors en regardant autour de moi fut sans contredit,  la présence d’un nombre incroyable de chiens errants partout dans les rues de la ville.   De toute ma vie, jamais je n’avais vu autant de chiens en même temps. Vraiment incroyable !   Je remarquai aussi beaucoup de pauvreté parmi les gens. Leur tristesse semble être  imprimée sur leur visage.  Mais rien ne put altérer le bonheur que j’éprouvais à  être enfin rendu en Roumanie.  J’avais peine à y croire.

À l’appartement, je pus rencontrer l’épouse de monsieur Florian, Mariana. Quelle gentille personne !   Tous les deux ont guidé mon appel à Québec afin que je puisse annoncer à Lise que j’étais enfin arrivé. Jamais je n’ai été aussi content d’entrer en contact avec mon épouse; je sentais battre mon cœur lorsque la sonnerie du téléphone se fit entendre, et au moment où Lise décrocha l’appareil, je me rappelai la première fois, il y a de cela très longtemps, où je l’appelais pour l’inviter au restaurant.  J’étais amoureux et voulut la conquérir. Je m’aperçois que rien n’a changé maintenant  depuis ce temps.    Quelques instants plus tard, Florian et Mariana me laissèrent seul afin que je puisse me reposer.

 

Intérieurement, je me sentais soulagé.  Je trouvais formidable d’être enfin arrivé en Roumanie et mon regard se posa à l’extérieur, cherchant à voir des gens de ce pays que j’aimais déjà, des gens que je ne connaissais nullement.

L’appartement où je suis est très beau et confortable : un grand salon, deux chambres, une petite cuisine ainsi qu’une salle de bain.  Je suis  intrigué par le poêle qui fonctionne au gaz propane et je m’amuse à tirer sans arrêt la chasse d’eau qui fonctionne à l’aide d’une corde suspendue  au plafond.  Je trouve cela  amusant. Ça éveille  mon côté adolescent qui ne veut  pas mourir.   Je répète  le même geste à  plusieurs reprises en espérant que le plafond ne me tombe pas sur la tête.

Le salon est  la plus grande pièce de l’appartement.  Quand j’ouvre  le téléviseur, je remarque tout de suite la multitude de canaux disponibles :  des postes en allemand, en français, en espagnol, en italien ainsi qu’en roumain,  bien entendu.  La chaîne que je préfère est  VH1, l’équivalent là-bas de notre canal « Musique plus ».  Je l’écoute sans arrêt.  Le premier soir, j’ai voulu visionner  une cassette vidéo que j’avais déjà vue chez moi,  le film « Cuirassé en péril » avec Stevan Seagal.   C’était tellement passionnant que je me suis endormi après seulement quelques  minutes d’écoute. La fatigue du voyage  venait d’avoir raison de mon corps  épuisé.


PREMIER JOUR EN ROUMANIE

Hier soir, en me couchant, je croyais pouvoir  dormir un bon dix heures; mais non !  Je me réveillai vers quatre heures du matin.  Je crois que le décalage horaire faisait en sorte que mon corps n’avait plus besoin de sommeil.  Malgré cette heure très matinale, je n’arrêtais pas de penser  à cette rencontre imminente avec notre futur enfant. J’ai tellement hâte de la voir,  la petite !  En même temps, je me sens fébrile et inquiet.  Je n’arrive pas à identifier ma peur. 

À sept heures, je prends un bon déjeuner semblable à ceux que je déguste à la maison.  Quelques heures plus tard, je sors de l’appartement pour aller me promener.  Au même moment, je me sens envahi par une sensation de crainte et de curiosité, il y a des chiens qui surgissent de partout.  Je songe à la douceur de mes chats et je reviens vivement à mon appartement pour retrouver une certaine sécurité.  Revenu à mon logement, je téléphone à  Florian et lui exprime mon désir de visiter la ville.  Il accepte avec plaisir et nous partageons ensemble cette opportunité qui nous est offerte.  Je profite grandement du privilège qui m’est accordé.  La ville de Bucarest s’étale devant moi, j’admire chaque édifice et chaque lieu avec enchantement.  Je n’ai pas assez d’une paire d’yeux pour jouir pleinement de tout ce qui s’offre à moi. 

Oui, je l’ai vu,  enfin, ce palace de la folie des grandeurs, ce château construit par un dictateur fou qui a volé son peuple durant des décennies. Pendant que les Roumains mouraient de faim, le président lui, contemplait sa richesse et sa gloire.  Quelle horreur !   C’est une chance qu’on l’ait fait disparaître, mais un peu tard, d’après moi.  Personne ne le regrette aujourd’hui. Ceux qui, parmi nous, croient que nos politiciens sont malhonnêtes, ne savent certainement pas combien cet homme a pu laisser un mauvais souvenir dans l’esprit des gens de ce pays.  Le 25 décembre 1989, trois cents personnes sont mortes parmi les milliers venues au centre ville de Bucarest, le vingt cinq décembre mille neuf cent quatre vingt neuf, afin de contester ce fou. Cet après- midi, j’ai pu voir le balcon où l’ancien président avait fait son dernier discours juste avant que le peuple ne lui montre la porte de sortie. Je n’ose imaginer toute l’émotion qu’il y avait à ce moment-là.  Souhaitons que nous n’ayons jamais à vivre de tels événements chez nous.  Je crois que c’est pour cela que j’aime les Roumains; quel courage ils ont eu lorsqu’ils ont décidé de se prendre en mains.

Pendant toute la journée, j’ai visité la ville de Bucarest, une ville qui, par son architecture, me fait étrangement penser à Québec.   Et pendant toutes ces heures, j’ai pu apprécier Florian. Il m’a même fait visiter le château de Dracula; oui, oui, le vrai Dracula, celui qui, dans beaucoup de films, fait gicler avec tant de passion le sang de ses victimes.  Malgré le fait que j’apprécie chacun de ces moments uniques, une pensée me suit partout.  En aucun temps, je n’ai cessé de penser à l’ange, son image est ancrée dans mon esprit.  Plus le temps passe, plus cela devient une véritable obsession, car malgré que j’apprécie déjà Bucarest, le but de ma visite est loin d’être touristique. 

En fin d’après- midi, Florian vient me reconduire à l’appartement.  Il a probablement constaté ma fatigue.  Même si j’ai apprécié cette merveilleuse journée, je reste bouleversé par l’histoire de la Roumanie  et c’est pourquoi je profite pleinement de cette soirée tranquille.

Cinq heures trente.   Je regarde dans le garde- manger et je trouve quelques   bouteilles de vin. J’en prends une et je constate qu’il s’agit de vins roumains.

-         Il est peut-être  meilleur que les vins Québécois, me suis-je dit.

Je me prépare un bon spaghetti et je l’accompagne  de ce précieux liquide.  Un verre, deux verres et encore un autre. 

 

-         Tiens, je suis déjà rendu au fond de la bouteille. Pas grave, il en reste d’autres.

Je regarde la télévision, toujours à la chaîne VH1.  Je viens de voir Micheal Jackson.  Et dire que cette musique était interdite au temps de Ceausescu.  Le vin aidant, je m’imaginais vivre ici à l’époque  du dictateur.  Je me voyais au téléphone en train de discuter avec lui.

-         Bonjour,  madame, je voudrais parler au dictateur.

-         De la part de qui?

-         Je me nomme Richard, je suis du Canada.

-         Un instant,  s’il vous plaît. 

-         Bonjour, monsieur Richard, ici le dictateur.  Soyez le bienvenue en Roumanie.

-         Monsieur Ceausescu, je ne comprends pas votre attitude concernant la musique de l’occident.

-         C’est très simple   à comprendre,  mon cher monsieur; cette musique est tout simplement   mauvaise pour l’esprit.

-         Mauvaise pour l’esprit?  Faut croire que l’univers entier  est malade, tous les peuples de la terre écoutent les Beatles et les Rolling Stones,  mon cher monsieur.

-         Qui sont les Beatles, monsieur Richard?

-         Vous ne connaissez pas les Beatles?  Ils sont quatre et chantent « All you need is love ».  Pour votre information, les gens de tous les pays du monde écoutent leur musique.

-         Je ne sais vraiment pas de quoi vous parlez.

-         Connaissez-vous Elvis Presley,  au moins?

-         Pas du tout. Est-ce une marque de voiture?

-         Monsieur Ceausescu, votre manque de culture ne vous fait pas honneur! Mais que feriez-vous monsieur le dictateur  si vos compatriotes décidaient, malgré vous, d’écouter la musique de John Lennon ?

-         Alors là, je crois que je démissionnerais.

-         Alors,  monsieur le dictateur, un jour, je puis vous assurer que vous  allez remettre votre démission.  Vous ne pourrez rien contre la volonté de votre peuple lorsqu’il décidera de prendre en main sa destinée.  Souvenez-vous de ce que je viens de vous dire, monsieur le dictateur.

Je me suis dit que j’aurais dû venir dans ce pays bien avant aujourd’hui. Grâce à la musique que j’aurais apportée avec moi, il n’y aurait pas eu de révolution, le dictateur aurait démissionné,   les Roumains  m’auraient acclamé comme leur sauveur et je me serais probablement marié avec une Roumaine.

-         Monsieur Richard, acceptez-vous de prendre Adela Ionescu comme légitime épouse?

-         Oui,  je le veux.

-         Adela Ionescu, acceptez-vous de prendre monsieur Richard comme légitime époux?

-         Oui, je le veux. 

-         Je vous déclare maintenant mari et femme.

Je regardai ma montre et notai qu’il était déjà onze heures.  C’était le temps que je cesse de boire et que j’aille dormir.


AUJOURD’HUI DIMANCHE

J’ai très bien dormi.  Debout dès six heures, j’ai déjeuné quelques instants plus tard.  Vers neuf heures, je suis retourné dans la rue afin de voir de près ces gens pour lesquels j’avais déjà un certain attachement.  Debout sur le trottoir, je regarde passer les vieux autobus qui ne cessent de circuler. Ici,  à Bucarest, beaucoup de gens utilisent le transport en commun.  Je viens d’ailleurs de donner un nom à leur compagnie de transport :  la STCUB (société de transport de la communauté urbaine de Bucarest)  Un peu comme dans ma ville, quoi !

De retour à l’appartement, j’écoute la télévision. Je viens de visionner un vidéo de George Harrisson et un  de Céline Dion.  Une chose me frappe  à l’intérieur de l’appartement. J’entends japper les chiens sans arrêt.  Je n’ai pas vu un seul chat dans les rues de cette ville et je n’ose imaginer mon pauvre Boubou se promenant tout seul dans les rues de Bucarest !  Dieu qu’il aurait peur, mon pauvre petit chaton.

J’éprouve en ce moment une grande solitude.  Ma pensée s’en va vers ceux avec qui je vis et vers  notre futur enfant que je verrai sous peu;  je prie pour que ce moment arrive le plus rapidement possible. Mais vivre seul vingt- quatre heures par jour, ou presque, ça peut paraître un peu long car ici, dans l’appartement, je n’ai personne à qui parler.  À tous les matins, à sept heures, j’écoute l’hymne nationale de la Roumanie au poste dix- neuf. C’est la télé nationale du pays.  Quelques instants plus tôt, à la chaîne VH1, j’avais pu voir un film relatant la carrière de Elton John. Dire qu’il y a à peine vingt ans, personne ici ne savait qui il était. Le dictateur fou doit se retourner dans sa tombe !  Mais afin de mettre un peu de vie dans l’appartement, je soliloque, comme si nous étions deux.  Un bon psychiatre pourrait trouver mon cas intéressant.


LE TEMPS PASSE……..

On est lundi matin et je sais que je ne verrai pas l’ange aujourd’hui.  Ce sera pour demain, ou bien pour mercredi.  Tantôt, j’irai faire une petite marche dehors, histoire de prendre des photos des autobus de la STCUB.  Dire que chez nous les gens critiquent parce que notre compagnie d’autobus a acheté quelques citrons !  Il faudrait qu’ils viennent ici pour voir ces autobus délabrés et pleins de rouille. 

Voici une devinette.  Qu’est-ce que je rencontrerai lorsque, tout à l’heure, je sortirai de l’appartement?  La réponse : un chien.  Autre question. Qui se cache derrière un arbre au coin de la rue?  Un autre chien.  Et qui va venir me sentir les pieds quand j’arriverai de l’autre côté du chemin?  Toujours un chien.  Vraiment, il m’arrive de penser qu’il y a plus de chiens à Bucarest que d’habitants vivant dans la ville de Québec.  C’est épouvantable. 

J’aime marcher dans les rues de Bucarest près de l’appartement où j’habite.  Bien que seul, je me sens confortable de me promener ainsi à travers ses rues.  Personne ne sait que  je viens du Canada et que je suis sensible à ce qu’ils vivent.  Quand j’arrive au coin d’une rue et que je vois deux personnes qui parlent, je tends l’oreille. J’adore cette langue que je ne connais pas.

Je ne veux pas trop m’éloigner, sachant que je pourrais recevoir un appel téléphonique m’informant  que je peux aller sous peu à Sibiu, la ville où l’ange m’attend.  De toutes façons, j’aime l’appartement où je demeure présentement; c’est un endroit très confortable et propre.  Alors pas question de le  quitter   trop longtemps.

Je crois que je vais arrêter d’écrire car dans quelques minutes, ce sera l’hymne national de la Roumanie, au poste dix- neuf.  Je me lève et porte ma main sur le  cœur, comme le font, avec tant de ferveur,  les Américains pendant leur hymne national.  Bientôt, il y aura  un peu de roumain en moi.

Je viens tout juste de parler à Mariana, l’épouse de  Florian.  Il semble que l’on viendra bientôt me chercher pour que je puisse me rendre au bureau de l’agence d’adoption, ici,  à Bucarest, car il est probable que l’on parte ce soir pour Sibiu.  Une drôle de sensation m’envahit et j’ai la peau un peu froide malgré qu’il fasse chaud dans l’appartement.  J’ai le cœur serré, très serré même et surgit l’envie d’appeler à Québec. Mais  là-bas, il est très tôt le matin, alors je vivrai ce moment dramatique tout seul, loin des miens. 

Quelques minutes plus tard, je reçois un autre appel téléphonique, me disant que Florian viendra me chercher à trois heures trente.  Cette fois, c’est bien vrai; oui,  je m’approche de plus en plus de ce moment magique où je pourrai prendre l’ange de Roumanie dans mes bras.  Malgré ma fébrilité, je sens la pression monter d’un cran, comme si je m’attendais à vivre les heures les plus importantes de toute ma vie.

Je vais laisser reposer mon stylo pendant quelques minutes, le temps d’aller marcher à nouveau dans la rue, là où se trouvent mes amis les chiens.  Juste pour me dégourdir un peu car présentement,  j’ai l’impression que cela devient de plus en plus difficile d’écrire et que tous mes muscles veulent paralyser.  Si au moins j’avais apporté mes cassettes de John Lennon, cela m’aiderait à faire passer le temps. À  ce moment de ma vie, le temps pèse une tonne sur mes épaules.  Prions fort pour que tout se passe bien car de toute mon existence, c’est la première fois que je vais à la rencontre d’un ange.  Aurait-il des ailes, celui-là?  En tous cas, moi, j’en ai.


DIRECTION SIBIU

Tel que convenu, Florian vient  me chercher à l’heure prévue.  De fins flocons de neige tombent sur la ville mais la température est douce et assez  confortable.  Je me sens nerveux dans la petite automobile de marque Dacia que Florian conduit avec beaucoup d’habileté malgré la circulation assez dense.  Dans un français plus qu’acceptable, Florian tente de meubler la conversation du mieux qu’il  peut malgré qu’il comprenne que les mots sortent assez difficilement de ma  bouche. 

-         Vous devoir aller d’abord à l’agence pour prendre informations ! 

Nous sommes en route pour l’agence d’adoption de Bucarest où je dois connaître certains détails concernant l’enfant.  Ensuite, Florian me reconduira à la gare de train, ce qui me mènera jusqu’à Sibiu, là où se trouve l’orphelinat.  Tout cela tourne à une vitesse folle dans ma tête.  Je trouve qu’il y a beaucoup de circulation autour de nous et je le fais remarquer  à Florian.

-         Vous êtes dans un secteur très aggloméré, me répondit le Roumain.

Cela veut dire que je me trouve dans un endroit où la circulation est toujours très dense.

Les bureaux de l’agence se trouvent au quatrième étage d’un vieil édifice du centre- ville.  L’ascenseur est étroit; à l’intérieur,  de la place pour deux personnes. Et il monte  très lentement.

-         Une chance qu’on n’utilise pas un tel ascenseur pour monter au sommet de l’Empire State Building,   dis-je maladroitement à Florian.

Il se contenta de sourire.

Je pénétrai ensuite dans les bureaux de l’agence, un endroit accueillant et très bien meublé.  La présidente de l’agence, qui m’attendait,  s’approche aussitôt de moi et m’adresse la parole en anglais.

-         Bonjour,  monsieur Desrochers.  Madame Simard (Louise Simard est la directrice de l’agence de Québec)  m’a dit que vous aviez beaucoup d’inquiétudes au sujet de l’enfant?

Habituellement, je parle très bien la langue anglaise, mais cette fois, les mots s’entremêlent les uns aux autres.

-         Écoutez, mon médecin a visionné la cassette vidéo de l’enfant  et il a émis plusieurs réticences  au sujet de son état de santé.  Je vous avoue que je me pose toutes sortes de questions,  moi aussi.

-   Vous devez avoir confiance.  Nous avons fait examiner l’enfant à plusieurs reprises par le médecin de l’ambassade canadienne et tous les tests disent qu’elle se porte très bien.   

Pendant que nous parlions de l’enfant,   une autre femme s’approche vers moi  et me regarde d’une façon peu chaleureuse.. Elle semble m’examiner des pieds à la tête, ce qui  me met  tellement mal à l’aise que je me sent  fondre comme de la glace au soleil.   Florian  est à mes côtés et me dit que cette personne s’exprime en français et que c’est elle qui voyagera avec moi jusqu’à Sibiu.  Je remarque alors que c’est  une très belle femme.   Finalement, elle me dit sèchement    quelques mots dans ma langue.

-         Je comprends le français,  mais je préfère que vous me parliez en anglais. 

Je regardai Florian et lui demandai si j’allais  vraiment voyager  avec cette fille. Il me répéta que c’était bien  la personne   qui prendrait le train avec moi.

-         Il faudra que je m’y fasse,  me suis-je dit en  me demandant alors comment je pourrais vivre  pendant plusieurs heures avec un tel bloc de glace.

Quelques minutes après avoir quitté l’agence, la jeune femme  et moi prenions  le train pour Sibiu.  L’endroit me faisait penser à un bain sauna tellement il y faisait chaud.  Je me sentais  nerveux  comme jamais et je cherchais  des mots afin d’établir la conversation avec la Roumaine qui m’accompagnait. De plus en plus, elle  me faisait penser aux   filles que j’ai vues dans les films d’espionnage, lorsque mon héros, James Bond,  tentait de sauver le monde d’un possible conflit nucléaire. Dans ma tête, j’imaginais  une conversation entre elle et moi……

-         Quel est votre nom,  monsieur?

-         Mon nom est Bond, James Bond. 

-         Que venez-vous faire à Bucarest, monsieur Bond?

-         Mon gouvernement m’envoie ici pour mettre   fin à la guerre froide entre votre pays et le mien.

-         Et vous croyez sincèrement que vous allez accomplir votre mission avec succès, mon cher monsieur Bond?

-         Je sais que je suis le seul au monde qui peut mettre fin à la guerre froide.  Au fait, que faites-vous ce soir,  mademoiselle?

Je n’ai même pas osé lui demander son prénom depuis que nous sommes dans le train.  Durant le trajet jusqu’à Sibiu, elle dort presque sans arrêt. Probablement qu’elle a dû se rendre compte que j’étais incapable d’entamer avec elle une conversation intelligente. Elle est assise  sur le siège en avant de moi et appuie sa tête sur son manteau pour mieux dormir.   À ma gauche, un jeune homme de Hollande s’en va  tenter sa chance dans  une compagnie d’informatique à  Sibiu.

À l’extérieur, il fait déjà nuit.  En moi, il surgit  beaucoup d’émotions et de questionnement.  Jamais,  de toute ma vie, je ne me suis senti aussi inconfortable.  La pauvre fille qui m’accompagne doit vraiment me trouver bien ennuyant car aucun mot ne semble vouloir franchir mes lèvres, paralysé que je suis par l’inquiétude et le désarroi face à une situation sur laquelle je n’ai plus aucun contrôle..  Finalement, je trouve quelque chose à lui dire.

-         I love Romania.

Elle se contente de sourire.

Après cinq heures de train, nous arrivons finalement  à Sibiu et immédiatement nous nous dirigeons vers l’hôtel où la jeune femme avait réservé deux chambres.  Un très bel hôtel, situé dans un quartier qui ressemble étrangement au vieux Québec. Plus j’y pense, plus je trouve que j’ai l’air d’un petit gars en culottes courtes en présence de cette fille.  Je la suis partout sans dire un mot, comme si je me trouvais tout à coup trop jeune pour  poser des questions. Il faut croire que les émotions ont vraiment eu le dessus sur moi et que je ne suis  tout simplement pas capable d’engager une conversation. 

Une fois à la réception de l’hôtel, je me souviens avoir pensé à quelque chose de fort amusant lorsque nous attendions les clés de nos chambres. 

« Qu’est-ce que je vais faire, me suis-je dit, s’il faut  qu’elle me demande  de partager sa chambre avec elle? Si je dis non, je vais passer pour un  niais; si je dis oui,  mais  que sa demande  a pour but  de  vérifier  mon niveau de moralité une fois que je me retrouve  loin de ma femme,  jamais nous ne pourrons avoir notre fille  car elle fera certainement  rapport de mon attitude auprès des autorités roumaines.  Dans les deux cas, je risque d’avoir l’air fou en maudit. »

Décidément, j’ai vu trop de films de James Bond !

Elle me remet finalement la clé de ma chambre et j’en suis  bien content.

Dans ma chambre, je me sens seul et je pense à Lise sans arrêt.  Mon désir est qu’elle soit à mes côtés comme elle l’a toujours été lorsque je me sentais mal.  Mais il faut que j’apprenne à maîtriser mes émotions;  je dois faire preuve d’une force de caractère que je ne possède pas car dans quelques heures, mon rendez- vous avec le destin se concrétisera; je considère que c’est  la journée la plus importante de toute ma vie.

 

L’ANGE

Sept heures trente du matin.  Tel qu’entendu avec la réceptionniste, le téléphone sonne dans ma chambre pour me réveiller.  Quelque secondes plus tard, je suis debout, prêt à partir.  La veille, je m’étais couché à onze heures, mais je crois m’être endormi seulement vers une heure de la nuit.  Tel un serpent, j’ai dû virer sur moi-même une centaine de fois à cause des événements car avant de m’endormir, je n’arrêtais pas de penser à ce moment extraordinaire où ses  petites mains allaient m’emprisonner. 

Bizarre, mais ce matin, je me sens en confiance, quoique toujours inquiet; comme ces athlètes avant un match de championnat qui savent à l’avance qu’ils sortiront vainqueurs d’une rencontre sportive.  Lorsque je reviendrai à l’hôtel après notre visite à l’orphelinat, je souhaite que mon cœur ne souffre plus de cette crainte profonde qui le transperce à chaque instant.  Plus j’y pense, plus je me dis avec certitude que  je ne raterai pas mon rendez-vous avec le bonheur.  Ce sera merveilleux, fantastique.  Encore une fois, je donne congé à ma plume.  Je  la reprendrai une fois bien assis dans le train,  après ma visite à l’orphelinat.  En attendant, je prie pour que les prochains instants soient les plus marquants de toute ma vie.

J’ai rendez-vous à 8.00 h du matin avec la jeune femme qui m’accompagne.  Ensemble, nous prenons  un délicieux déjeuner au restaurant de l’hôtel, mais encore une fois,  je cherche mes mots.

-         I love Romania.

-         Je  sais, vous me l’avez dit hier.

Décidément, je manque un peu d’imagination !

Elle a toujours son air hautain et cela me met  terriblement  mal à l’aise. Finalement, je réussis à entamer un semblant de conversation.

-         Vous devez être passionnée par votre travail  de voyager ainsi.

-         Oui.

-         Quel est votre prénom?

-         Je m’appelle Nela.

-         C’est un très joli prénom; en français,  on dit Nellie.   Je trouve que votre pays est magnifique.

Elle semble quelque peu sceptique devant ma dernière remarque.

-         Beaucoup de Canadiens pensent  que les Roumains vivent dans une forêt à travers les singes et je n’aime pas cela.

J’essayais alors  de me montrer plus sympathique. 

-         Mais je n’ai jamais pensé cela!   Je m’intéresse à votre pays depuis Nadia Comaneci,  à Montréal,  en 1976,  et je me  considère très chanceux d’être ici. 

-         Je  vous crois. Dites-moi, pourquoi mangiez-vous tous ces   biscuits,  dans le train hier soir? J’ai l’impression que vous avez avalé  une boîte au complet.

-         C’est parce que madame Simard m’a dit de ne manger que des biscuits quand je me trouve hors de l’appartement  afin de ne pas tomber malade.  Elle dit que la nourriture ici peut  me causer des problèmes de santé. 

Elle se mit à rire.

-         Vous voyez pourquoi je vous dis que plusieurs Canadiens ont l’impression que nous vivons dans une jungle,  ici?  Madame Simard exagère vraiment. Notre nourriture est aussi bonne que la vôtre.

Je regarde mon assiette et je lui demande si je peux manger ce qu’il y a dedans.   Cela me semble délicieux : des œufs avec toasts et un morceau de fromage.   Elle parait plutôt insultée par ma question et sa réponse ne se fait pas attendre.

-         S’il vous plaît, calmez-vous les nerfs avec toutes ces histoires de nourriture!  

Je ne voulais vraiment pas l’offusquer et j’essaie alors de détourner la conversation.

-         Êtes-vous déjà venue au Canada?

-         Oui, à quelques reprises,  comme escorte pour des petits enfants roumains qui étaient attendus par leurs nouveaux parents. 

Je commence à la trouver de plus en plus sympathique. Et bon sang qu’elle est ravissante cette fille!  Elle porte  un tailleur gris à carreaux qui lui va comme un gant.  Je lui fais part de mon désarroi vis-à-vis la situation de l’enfant que je vais voir et elle me dit de ne pas m’inquiéter.   Quelques minutes plus tard, nous prenons le taxi  en direction de l’orphelinat.

Arrivés sur les lieux, elle me présente au directeur de l’établissement, un homme assez grand portant des lunettes. Il  parle très bien le français. 

-         Je vous présente monsieur Richard Desrochers. Il vient voir l’enfant appelé Kara Dobrev Giorgiana (c’était le nom de naissance de notre fille). 

Il me tendit la main et entama une conversation avec moi.  La fille qui m’accompagne  nous écoute avec beaucoup d’attention.

-         Bonjour, monsieur, est-ce la première fois que vous venez en Roumanie?

-         Oui, et je trouve votre pays magnifique.  J’aime la Roumanie.

Décidément, cela est devenu une  véritable idée fixe.  Il s’informe ensuite sur le genre de travail que je fais. 

-         Je travaille dans le domaine des assurances depuis 1979.

Avant que le directeur de l’institution ne  me pose une autre question, la jeune femme me prend alors  le bras et me fait une demande plutôt inattendue.

-         Pardon,  monsieur Desrochers, pourriez-vous me vendre une assurance contre  les déceptions sentimentales?

Je crois que mon visage est devenu   blanc comme neige.  Elle s’en aperçoit et me  fait signe de la main d’oublier cette question.   Finalement, le directeur m’invite à monter avec eux jusqu’au deuxième étage, là où sont logés les enfants.  Une fois dans un petit bureau, une employée m’apporte le dossier médical de l’enfant et je peux finalement prendre connaissance de son bilan de santé en général. Cela me semble satisfaisant.  Pendant que je lis le dossier médical, une dame s’approche de moi par derrière. Je me suis tourné lentement, très lentement, me doutant bien que j’apercevrais l’enfant désiré.  Quand j’ai vu son beau petit visage pour la première fois, un courant électrique a littéralement traversé mon corps des pieds à la tête. J’étais  bouleversé et tellement ému lorsqu’on l’a déposée dans mes bras.  C’était magique, indescriptible comme sensation.  Quelle merveilleuse enfant, me suis-je dit à voix haute, ne me préoccupant pas de ce que les autres pouvaient penser.  Je touchais sans arrêt sa belle petite tête,  je faisais un  nez à nez avec elle et bien qu’elle me voyait pour la première fois, elle n’a presque pas pleuré, me faisant même un sourire, peut-être le premier de sa vie.  Si elle avait pu parler, je suis certain qu’elle m’aurait dit quelque chose comme ceci :

-         Est-ce toi qui va être mon papa?

-         Oui, c’est bien moi.

-         Et ma  maman, elle est où?

-         Dans ta maison.

-         C’est où ma maison?

-    C’est très loin d’ici. 

-         Dis papa,   pourquoi tu n’arrêtes jamais de regarder la fille qui est avec toi?

Ma foi, même en Roumanie les enfants remarquent  tout ! 

Je l’ai serrée si fort que j’ai eu un peu peur de briser ce petit être encore si fragile.  Enfin, je prenais dans mes bras notre ange de Roumanie !  Je goûtais pleinement à ce moment de rêve que j’aurais tant voulu partager avec Lise.

Après  ces heures magnifiques passées avec notre enfant, elle dut retourner dans sa chambre, une pièce qu’elle partageait avec sept petits amis roumains.  Quand je l’ai placée dans son lit, ce fut comme si elle ne voulait plus que je la quitte, accrochant sa main à mon doigt. Avant de partir, je l’ai embrassée pour une dernière fois en lui jurant que dans deux mois, je reviendrais la chercher.  « Au revoir, mon petit ange »

Après avoir quitté l’orphelinat, mademoiselle Nela et moi avons pris le taxi en direction du centre- ville.  Nous sommes allés dans un secteur qui ressemblait étrangement à la rue St- Jean.  Des deux côtés de la rue, je pouvais voir des boutiques de toutes sortes ainsi que des magasins où j’ai pu acheter des souvenirs de la ville de Sibiu.  En marchant dans la rue avec Nela, je lui ai demandé si elle aimait Céline Dion et elle me dit que oui.  Mais elle semblait préférer Roch Voisine.  Probablement parce qu’il est beau garçon.  À ce moment, j’ai eu envie de lui demander si elle achèterait mes disques si un jour je devenais chanteur comme Roch Voisine.  Mais je ne l’ai pas fait, ayant trop peur de la réponse.

Quelques minutes plus tard, nous sommes retournés à l’hôtel pour le dîner.  Ça faisait très  longtemps que je n’étais pas allé au restaurant avec une autre fille que Lise.  La salle à dîner est  vaste et fort bien éclairée, le mobilier assez moderne.  Je pose ma valise à côté de la table et nous prenons une place dans le fond de la salle.  À cette heure de la journée, l’endroit est presque désert, on peut y  entendre voler une mouche.  Aussitôt installés à une table, Nela commande une première bouteille de vin.  Nous discutons  d’à peu près tous les sujets, particulièrement de cette affaire un peu loufoque sur  les problèmes conjugaux du président Clinton. 

-         Que disent les gens de Roumanie sur l’affaire Clinton?

-         Ils disent que tout cela est une farce et que les Américains font rire d’eux avec cette histoire.  Les puritains de l’Amérique sont de parfaits hypocrites.

Le vin aidant, je me sens de plus en plus à l’aise avec elle. Cette fois, mes mots ne s’étouffent plus dans ma gorge.  Je continue de m’intéresser à elle et lui pose une multitude de questions.

-         Vous me disiez être déjà venue au Canada comme escorte; avez-vous déjà visité la ville de Québec?

-         Bien sûr, et à plusieurs reprises. J’étais là l’an dernier quand il y a eu cette fameuse tempête de neige, alors qu’il était tombé plus de cinquante centimètres de neige. Habituellement, quand je viens comme escorte au Canada, je passe toujours quelques jours dans votre ville.

-         Que faites-vous dans vos temps libres  quand vous passez  une semaine à Québec?

-         Les fins de semaine, je vais au Beaugarte ou au Québec Inn.

Cela me parut fort surprenant. Comment une personne vivant à Bucarest pouvait bien connaître ces deux discothèques fort populaires à Québec,   me suis-je dit.

-         Vous connaissez ces endroits?  lui dis-je d’un air ahuri.

-         Bien sûr,  et j’y suis allée très souvent.

J’utilise alors  un vieux truc qui marchait à tout coup quand j’avais 20 ans.

-         Je comprends maintenant pourquoi j’étais certain de vous avoir déjà vue  quelque part !  Un jour, je vous inviterai au Québec Inn.

Au même moment, j’accroche ma valise avec mon pied et elle renverse sur le côté en faisant un bruit un peu embarrassant  dans le restaurant presque vide à cette heure de la journée.  Je suis certain que l’esprit de Lise est venu se mêler à notre conversation.  Je tente  alors de poursuivre la discussion.  À mon grand bonheur, une deuxième bouteille de vin nous est servie.

-         Comment les gens de votre pays ont-ils réagi l’an dernier,   lors du décès  de la princesse Diana?

-         Nous avons eu beaucoup de chagrin car nous l’aimions beaucoup.

-         Est-ce qu’il y a déjà eu une monarchie dans votre pays?

Je connaissais déjà la réponse à cette question car j’avais fait beaucoup de lecture  sur le pays.  J’attendais sa réponse avec un léger sourire en coin.

-         Bien sûr que nous avons déjà eu une monarchie, mais il y a de ça  très longtemps.

-         Dommage qu’il n’y en ait plus,   lui dis-je d’un air dépité.

-         Pourquoi dites-vous cela,  monsieur ?

-         Parce que je vous imagine  en princesse dans ce pays. Ce rôle vous irait comme un gant.

Ma valise renverse à nouveau sur le côté.  Décidément, l’esprit de ma femme ne me laisse donc jamais ! 

Elle se contente de sourire,  mais moi, je suis fier de mon coup.  Je me sens comme lorsque j’avais 20 ans.  Et elle demande qu’on nous apporte  une autre bouteille de vin.  

Le temps passe vite en si charmante compagnie, et malheureusement, nous devons quitter l’hôtel afin de ne pas manquer le train pour Bucarest. À la station de train, quelque chose d’amusant retient  mon attention;  je soupçonne cette fille d’avoir souhaité qu’un passant glisse et tombe sur l’immense plaque de glace qui se trouvait tout juste de l’autre côté de la voie ferrée.  En plein le genre de farce que j’adore.

Depuis que je suis assis dans le train, je l’avoue, je me sens le cœur léger comme une plume,  comme si une tonne de pression venait de disparaître de sur mes épaules.  Enfin je n’avais plus de crainte car je sais maintenant que l’enfant est en parfaite santé.  Elena, notre amie qui travaille  à l’agence d’adoption, à Québec, me répétait sans cesse de garder espoir, que tout irait pour le mieux. J’aurais dû l’écouter.

C’est le milieu de l’après-midi et il fait très beau, mais pas aussi beau que dans mon cœur car présentement, je me sent heureux comme jamais je ne l’ai encore été. Je viens de vivre des heures merveilleuses. Sensations uniques. Je suis bien assis dans ce vieux train qui nous ramène à Bucarest, et pendant que mon stylo griffonne mon cahier, mon cœur rayonne de bonheur.

Mon regard part au loin et je trouve merveilleux ce paysage de la Transylvanie que l’on nomme ici les Carpates.  Si un jour je reviens dans ce coin de pays, j’amènerai l’ange avec moi, et ensemble, nous grimperons jusqu’au sommet de ces belles montagnes.  Depuis notre départ de la ville de Sibiu, le téléphone cellulaire de Nela a dû sonner une bonne douzaine de fois.  Je gagerais que son amoureux s’ennuie.  Pour faire passer le temps, elle  fait des mots croisés roumains et je trouve fascinant de constater à quelle vitesse elle remplit les carreaux vides.   Dans quelques semaines, quand, je reviendrai en Roumanie avec Lise pour chercher l’ange, je souhaite la saluer à nouveau.  Vraiment, une très bonne personne.  Et combien belle ! 


DE RETOUR À BUCAREST

Enfin de retour dans l’appartement.   Florian,  qui m’attendait à la gare, vient tout juste de me quitter.

On dit que les fauteuils berçants servent à évacuer le stress. Cela est un peu vrai car je relaxe dans cette chaise.  Lise étant au travail à cette heure-ci, je ne peux l’appeler; mais j’ai pu communiquer avec l’agence d’adoption de Québec afin qu’on l’avertisse que j’ai finalement vu la petite.  C’est Elena qui répond, et lorsqu’elle reconnaît ma voix, elle ne peut s’empêcher de me dire, avec son magnifique accent roumain :  « Bonjour,  monsieur Desrochers, comment ça va? »   Je suis bien content de lui parler, mais sans attendre, je lui demande d’aller dire à Lise qui travaille dans le même centre commercial, que j’ai vu Alicia,  qu’elle est en parfaite santé et que tout va bien pour moi aussi.

Un moment plus tard, le téléphone sonne.  C’est ma sœur Susan qui m’appelle, et avec beaucoup d’émotions dans la voix, je lui  dit que j’ai vu l’enfant.  Elle et moi avons pleuré ensemble.  Puis ce fut au tour de maman de m’appeler. Finalement, après plusieurs heures d’attente, j’ai pu finalement parler à Lise.  Comme je suis heureux d’entendre sa voix,  et surtout, de partager avec elle ces moments de bonheur.

Malgré la solitude profonde que je vis encore présentement, je peux malgré tout réaliser toute l’ampleur des moments émouvants que je viens de vivre si loin des miens.  Jamais dans toute ma vie, je n’ai  pu apprécier des instants de bonheur aussi intenses.  À l’instant présent, je suis crevé, mais heureux;  un gars plein de joie et de bonheur, qui ne regrette que les instants où il s’est tant torturé l’esprit. Je suis ainsi, toujours profondément rongé par l’insécurité.  Dans quelques instants, j’irai dans mon lit, non  sans avoir bu une dernière bière. Et j’ai comme l’idée que je vais très bien dormir cette nuit.

DERNIERS INSTANTS À BUCAREST

Aujourd’hui,  mercredi, c’est mon dernier jour en Roumanie avant de revenir parmi les miens.  Bien sûr,  que j’ai hâte de revoir ma famille,  surtout Lise. Je suis triste de quitter ce merveilleux pays et les gens que j’y ai connus.  J’ai eu du bon temps ici.  Je suis surtout heureux d’avoir pu voir notre petit ange,  à Lise et à moi, car finalement, c’était le but ultime de mon séjour. Il fallait que je vienne en Roumanie pour voir l’enfant qui allait bientôt devenir le nôtre ;  et Dieu sait combien  je suis maintenant soulagé d’avoir pu constater que cette enfant est merveilleuse.

Ça me faisait quelque chose de quitter la Roumanie. Je pense à  Florian avec qui je n’ai  partagé que du bon temps.  Quel homme sympathique et aimable !  Bien sûr, je vais aussi m’ennuyer de son épouse Mariana.  Je pense également à mademoiselle Nela,  qui fut finalement  fort gentille avec moi durant le long voyage en train jusqu’à Sibiu.  Une bonne pensée aussi à ceux qui,  à l’orphelinat s’occupent de ma belle petite fille.  Jamais je n’oublierai mes amis de là-bas, et bientôt, lorsque Lise et moi reviendrons chercher notre ange, mon cœur vibrera à nouveau de les  revoir.

Je souhaite aussi que ces derniers jours m’apportent la plus grande leçon de toute ma vie.  Cette manie que j’ai  de toujours vouloir devancer les événements !  Quand je repense à toutes les heures d’angoisse vécues depuis un mois, et que je constate maintenant combien notre enfant semble en parfaite santé, je me dis que j’ai gaspillé une tonne d’énergie à me torturer l’esprit pour rien.  Pourtant,  tous, autour de moi, me disaient d’avoir confiance,  spécialement Lise qui elle, a toujours cru que tout irait bien.  Je repense à toutes les paroles de madame Simard et d’Elena à l’agence, qui me répétaient sans cesse que notre fille se portait bien.  Malgré ces mots d’encouragement, je continuais de m’inquiéter en silence,  me rendant la vie impossible. Que de temps perdu pour rien, n’est-ce pas ?

AU REVOIR ROUMANIE MA CHÈRE, MAIS PAS ADIEU

Jeudi matin,  huit heures.  Je suis à dix mille mètres au-dessus de la   Roumanie.  Le décollage s’est effectué parfaitement.   Sur le siège en avant du mien, un jeune bébé pleure sans arrêt, voulant sans aucun doute me donner un aperçu de ce qui nous attend, Lise et moi, lorsque, dans deux mois,  nous reviendrons chercher l’ange. 

Bien assis sur mon siège,  je repense à ces derniers instants passés avec  Florian à l’aéroport de Bucarest.  Je crois qu’il a senti combien j’étais triste de quitter son pays car, jusqu’à la fin, il est demeuré avec moi.  Mais je me console en me disant que bientôt je le reverrai, ainsi que toutes les autres personnes que j’ai connues durant ce trop bref séjour.  

Ma vue emprunte la dimension du hublot :  j’y vois la terre natale de notre fille.  Dire qu’il n’y a pas si longtemps, la Roumanie faisait partie des pays communistes du bloc de l’Est.  À l’époque, ces pays étaient considérés comme les ennemis des pays démocratiques.  Pendant ce temps, les gens de ce pays, eux, nous considéraient comme des imposteurs prêts à tout pour les détruire.  Quelle malheureuse incompréhension !  Aujourd’hui, alors que les habitants de la Roumanie sont libres, il devient très facile pour nous d’apprendre à les aimer.  Quelles personnes extraordinaires ! 

Je sais qu’ils ont beaucoup souffert durant ces années de terreur alors que le chef de leur gouvernement ne cessait de piétiner chaque parcelle de liberté que ses habitants  voulaient s’offrir.  Et nous, pas plus intelligents, nous nous amusions à penser qu’ils ne connaissaient rien de ce qu’était la vraie vie.  Tout ceci n’est qu’une lamentable honte  pour l’humanité.  Mais pouvons-nous faire autre chose que d’espérer que nos pays demeurent à jamais en harmonie ?  On ne peut changer le passé, mais l’avenir lui, on peut le rendre tellement plus agréable si on le veut.

Une pensée en engendre une autre.  Comment se fait-il qu’au Canada,  personne n’ait réussi à trouver un terrain d’entente entre le Québec et les autres provinces du pays ?  Les habitants de notre pays eux, ne se détestent pas !  Encore une fois, il faut regarder les politiciens.  Je pense à ces idiots de premiers ministres de toutes les provinces qui ne cessent de vouloir diviser les gens entre eux.  Diviser pour régner,  comme on dit !  Vraiment, ce sont de pauvres types, des deux côtés de la clôture.  Lors de mon voyage, j’ai pu parler à des Hollandais ainsi qu’à des Roumains.  J’ai vu des gens de la République tchèque ainsi que de la Chine.  Pourquoi ne pas admettre que nous sommes tous des citoyens du monde,  et surtout, pourquoi ne pas respecter nos différences ?  Le monde ne s’en porterait que mieux, n’est-ce pas ?


DE RETOUR CHEZ MOI

Onze heures du matin :  heure d’Amsterdam.  J’écris encore ;  c’est donc la preuve que l’atterrissage s’est effectué en douceur.  Je suis assis dans un confortable fauteuil de l’aéroport, et je mange  les deux sandwichs que j’avais préparés dans mon appartement de Bucarest : deux tranches de pain sec avec du jambon.  Quand je goûte mon repas, je me dis que  Florian m’aurait certainement déconseillé de manger cela ;  enfin, c’est quand même mieux que rien.  Je me trouve présentement près du local qu’on appelle ici « le coin du bébé »,  un endroit réservé aux enfants, pour qu’ils puissent se reposer pendant l’escale.  C’est ici que l’on peut aussi laver et changer les petits. 

Cet aéroport est énorme, une véritable ville où l’on peut trouver toutes les commodités nécessaires aux voyageurs.  Bien des endroits, bien des villes  n’offrent pas tous ces services.  Tout simplement fantastique.  À cette heure-ci à Québec, il est cinq heures du matin.  Je pense à Lise et aux chats qui doivent dormir profondément.  Dans quelques heures, la routine quotidienne reprendra pour eux.  Bientôt,  ma sœur Susan accueillera  les petits qu’elle garde.  Luc,  lui, prendra son journal afin de vérifier si ses placements sont à la hausse ou à la baisse.  Quant à ma belle-sœur Chantal, elle prendra l’autobus pour se rendre à son travail, là où elle saura faire profiter ses collègues de tous ses talents d’internaute chevronnée.  Lise et maman, lorsqu’elles se réveilleront, se demanderont sûrement à quelle hauteur et à quelle distance  je me trouve dans le ciel.

Les mots me manquent.  Je reprendrai la plume dans l’avion qui me ramènera au Canada, pas avant.  Ce seront alors les derniers écrits concernant ce voyage fantastique que je viens de faire en Roumanie car dans l’autobus qui me conduira de Dorval à Québec, je ne veux que penser à ceux que j’aime.   J’ai tellement hâte de les revoir et de leur dire ce que je connais maintenant de notre ange.

Six longues  heures me séparent encore  de la terre québécoise.  Nous survolons présentement l’Angleterre, et bientôt nous serons au-dessus de l’Atlantique.  Je viens tout juste de terminer un copieux repas, et je déguste une bonne bière hollandaise que l’hôtesse  vient d’apporter.

Oui, je l’ai vue, l’ange de Roumanie ;  son nom est Alicia.  Avant de la quitter  je me suis juré que  nos destins seraient soudés l’un à l’autre à jamais.  Bien sûr,  que j’aimerais qu’elle soit à mes côtés présentement, mais ce n’est que partie remise car dans deux mois,  cette histoire d’adoption sera terminée.

Je sais aussi qu’en ces moments,  mes proches n’ont cessé de penser à moi ;  et ce fut réciproque.  Sans le savoir, ils m’ont fait découvrir une force que j’ignorais posséder en moi.  Leurs prières ont su me soutenir en ces instants intenses de ma vie, où j’avais tant besoin d’être appuyé.  Avant de partir, j’avais demandé à papa de mettre sa douce main sur mon épaule, et je crois qu’il m’a exaucé.

Oui, l’ange de Roumanie s’en vient vers nous.  Plus que quelques semaines avant que cet   être de bonheur ne vienne embellir nos vies.  Que le Ciel protège ce petit ange pour toujours.


ATTENDRE

Le mois de février s’en va peu à peu ; la température est douce à l’extérieur, mais dans mon cœur, il commence à faire sombre.  Quelques semaines se sont écoulées depuis  mon retour de Roumanie et nous n’avions aucune nouvelle concernant l’évolution de notre dossier.  Chaque matin, chaque soir, je pense à notre enfant que j’ai laissé là-bas, et presque à chaque fois, je m’imagine que tout ceci n’était finalement qu’un mirage.  Bien sûr,  que je l’ai prise dans mes bras,  cette merveilleuse petite fille,  je sais qu’elle n’existe pas que dans mes rêves ;  mais bon sang que c’est difficile d’aimer  un enfant et de ne pas pouvoir le lui dire.  Un très long chemin reste donc encore à parcourir avant que toute cette histoire ne se termine ;  comme si la vie avait décidé que le plus grand bonheur d’une vie devait se payer  chèrement. 

Afin de revivre les minutes merveilleuses  vécues en Roumanie, chaque matin, grâce à l’internet, je retourne faire un tour dans cette ville attachante où notre ange se trouve toujours. À chaque fois, mon cœur saigne rien qu’à  penser que nous sommes si loin l’un de l’autre.  Sur une carte géographique qui apparaît sur l’écran de mon ordinateur, je refais le tracé du voyage en train qui m’avait amené jusqu’à Sibiu, là où Alicia nous attend encore.  Je pense aussi à ces bonnes personnes que j’ai connues là-bas, et bon sang que je m’ennuie d’elles aussi !  Surtout mon ami Florian,  avec qui j’avais passé tout ce temps dans les rues de Bucarest.  Mais en dedans de moi, quelque chose me mine peu à peu,  un doute qui grandit à l’intérieur de mon cœur et qui m’empêche de croire que ce grand bonheur d’avoir  cet enfant avec nous devienne un jour  réalité.  Je savais que l’adoption internationale peut  aussi nous causer de grandes déceptions tellement toutes sortes d’événements inattendus peuvent  survenir d’un instant à l’autre.  Mais que puis-je faire d’autre que de prier afin que notre ange un jour à nous !  Ne pouvant oublier que j’ai serré dans mes bras cette merveilleuse petite fille, jamais mon cœur ni  mon esprit n’accepteront  que tout ce beau rêve se transforme en un horrible cauchemar.


BUREAUCRATIE

Je l’avais pressentis !  Nous approchons le début du mois de mars, et depuis une semaine nous savons que l’entente pour les adoptions internationales entre le Canada, le Québec et la Roumanie avait été annulée.  Cela faisait presque deux semaines que nous devions obtenir la confirmation d’une date pour le jugement d’adoption en Roumanie, et il semblait alors que nous n’aurions pas cette confirmation de si tôt.  Ces chers bureaucrates, autant de la Roumanie que de notre pays, ont décidé comme ça, tout bêtement, qu’il fallait renégocier cette entente, pourtant valide depuis plusieurs années.  Mais pourquoi,  mon Dieu,  cela doit-il nous arriver ? me demandais-je sans cesse.  À l’agence d’adoption aussi, on semble atterré par cette mauvaise nouvelle, comme si le bien-être des petits orphelins devait maintenant passer au second rang, se disait-on.

Depuis le moment où j’ai appris l’affreuse nouvelle, je ne cesse de penser à la possibilité que la Roumanie ne décide tout simplement d’interrompre à jamais les adoptions avec notre pays.  Dans ma tête, je revis cette scène absolument unique lorsqu’on avait mis l’ange de Roumanie dans mes bras, mais en même temps, je m’imagine que tout ceci peut finalement n’avoir été qu’un beau rêve de plus dans ma vie.  Je sens que le tapis nous glisse sous les pieds ; mais par dessus tout,  ce que je trouvais le plus difficile à vivre dans cette situation, c’est de me dire que nous ne pouvons rien faire d’autre que d’attendre, cette histoire étant  hors de notre contrôle.  Mais bon sang que nous trouvons ces moments pénibles, mon épouse et moi.

Les semaines passent, et je n’en peux plus d’attendre et d’attendre encore. À un certain moment, j’ai même appelé à l’ambassade de Roumanie à Ottawa afin d’en savoir plus sur le dossier.  Franchement, je crois avoir perdu mon temps, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir parlé à un pauvre type  beaucoup plus intéressé à soigner son image  que de travailler pour le bien-être des enfants abandonnés de son pays.  Quelques jours plus tard j’ai  aussi communiqué avec le chef de cabinet du ministre canadien des affaires extérieures, ainsi qu’avec celui du ministère québécois des affaires internationales.  Dans les deux cas, je crois avoir été berné par de belles paroles. Ces gens m’ont semblé  beaucoup plus préoccupés à protéger leur idéologie politique qu’à prendre à cœur les intérêts de citoyens ordinaires comme nous.  Tous, je crois, se sont moqués de moi, me cachant la véritable raison de l’annulation de cette entente. En effet,  je venais tout juste d’apprendre,  par une amie, pourquoi cet accord sur les adoptions internationales avait été annulé. Ces chers technocrates d’Ottawa n’acceptent pas que le Québec puisse avoir sa propre entente avec la Roumanie, prétextant que notre province n’est pas un véritable pays.  Franchement, jamais je n’aurais pensé que nos chicanes constitutionnelles puissent se faire sur le dos de pauvres enfants abandonnés, vivant dans un pays qui, de toutes façons, n’est pas capable de subvenir aux besoins les plus essentiels de ces tout-petits.  Cela me révolte et, à l’intérieur de moi, un sentiment de dégoût ne cesse de croître envers ces gens qui se font la guerre au détriment du bien-être des enfants et aussi des futurs parents qui, comme nous, souffrent profondément, attendant un dénouement à une simple histoire d’adoption. 

À partir de ce moment, notre vie est devenue un véritable cauchemar, craignant  de plus en plus  que notre ange ne vienne jamais à nous.  À tous les jours,  je fais une visite de courtoisie à l’agence d’adoption, espérant chaque fois y apprendre de bonnes nouvelles.  Un peu comme si j’allais à la pêche, à toutes les fois je reviens chez moi bredouille.   Je crois que je ne pardonnerai jamais à ces gens qui ont décidé de se faire la guerre en prenant en otage les enfants de Roumanie.  C’est quand même incroyable de constater qu’une simple histoire de drapeau entre deux gouvernements, qui,  de toutes façons, n’ont aucun intérêt à  s’entendre sur quoi que ce soit à cause de leur idéologie politique, puisse prendre de telles proportions.  Malheureusement cela est arrivé, et autant les petits enfants abandonnés de Roumanie que les personnes en attente comme nous d’un règlement, demeurent toujours les seuls touchés.


UN PAS EN AVANT...MAIS ! 

Après de multiples pressions de la part de celle qui dirige l’agence d’adoption ici, à Québec, l’entente entre le Québec, le Canada et la Roumanie concernant les adoptions internationales est finalement conclue.  Quel soulagement !  Encore une fois, je crois avoir gaspillé beaucoup d’énergie à m’en faire pour une chose sur laquelle je n’avais aucun contrôle ;  il faut croire que cela est un trait de ma personnalité !  En aucun temps mon épouse  n’a pensé que notre rêve puisse tomber en ruines.  Elle n’a pas cessé de m’encourager durant cette dure période.  Mais il semble que j’aime bien  me rendre la vie difficile. Je pensais également aux autres étapes,  non moins importantes, qui nous restaient encore à franchir avant que cette enfant ne soit officiellement à nous.  D’abord, une date de jugement à la cour de Sibiu doit être choisie.  Souvent, je me dis que cela va encore tarder, connaissant quelque peu la lenteur des bureaucrates roumains.  Encore là, mon épouse s’est imposée dans notre maison, ne cessant de répéter que plus rien ne pourrait s’opposer à la réalisation de notre rêve.  J’aimerais tant  la croire, mais à l’intérieur de moi, j’ai comme un doute qui ne cesse de grandir, malgré que notre dossier semble emprunter la bonne direction.

Ce n’est qu’au début du mois d’avril que nous avons connu la date du jugement d’adoption : le trente de ce même mois.   Dans les jours qui ont suivi l’annonce de cette nouvelle, ma vie est devenue à nouveau très difficile à supporter, sachant  très bien que les parents biologiques de notre enfant avaient le droit de s’opposer à l’adoption.  Et je sais que cela est déjà arrivé dans le passé, lorsque,  rongés par les remords, certains parents naturels ont renoncé à abandonner leur enfant une fois rendus devant le tribunal.  Plus la journée du trente avril approche, plus je sentais la pression monter à l’intérieur de moi.  Quelques jours avant cette journée si attendue, j’ai quitté la maison,  un dimanche après-midi, afin d’aller marcher tout fin seul dans le vieux Québec, un quartier où je trouvais l’esthétique un peu similaire à celle de la ville de Sibiu, là où l’avenir de l’ange allait se décider.  Je me rappelle très bien cette difficile période de ma vie, où,  dévoré par l’inquiétude, je n’en dormais plus la nuit.  Je me souviens combien j’appréhendais une mauvaise nouvelle lorsqu’arriva la journée du trente avril. 

Durant l’avant-midi, Lise et moi allons finalement  à l’agence d’adoption afin de connaître les derniers développements dans notre dossier.  On nous dit alors que le juge roumain a exigé un nouveau document avant d’accorder le jugement définitif.  Tout est remis à la semaine suivante, soit le sept mai.  Au moins avons-nous appris que les parents biologiques ne s’opposent pas à l’adoption, ce qui me soulage au  plus haut point. Il semble alors que plus rien ne peut bloquer ce dossier qui n’en finit plus de s’étirer.  Et finalement, une semaine plus tard, nous apprenons avec grand soulagement, que le jugement final a été rendu, et qu’Alicia est définitivement à nous.  Ce n’est qu’une fois rendu chez moi, lorsque je fus seul dans mon bureau, que je pleurai de joie, soulagé de savoir que cette histoire connaîtra bientôt un dénouement et que l’ange de Roumanie viendra bientôt égayer notre vie.  Quel merveilleux moment venions-nous de vivre ! 

Fin mai.  Je me sent le cœur de plus en plus léger, sachant que cette fois, l’arrivée de notre ange approchait.  En accord avec l’agence d’adoption, nous choisissons une date de départ pour la Roumanie :  le dix huit juin.  Je me souviens parfaitement bien de la journée où nous avons réglé l’achat de nos billets d’avion ;  j’étais tellement heureux que je crois avoir appelé une dizaine d’amis afin de leur annoncer l’heureuse nouvelle.  Je ne le croyais pas encore, surtout après avoir traversé une telle période d’incertitude ; mais cela semble maintenant plus réel que jamais.

 

Au début de juin,  nous recevons une lettre de l’agence,  nous expliquant les derniers préparatifs concernant notre prochain voyage en Roumanie.  On nous donne alors certains détails, mais aussi des explications sur les premiers soins à apporter au bébé une fois qu’il sera avec nous dans notre appartement de Bucarest.  Quelque chose de particulier dans cette lettre attire alors mon attention :  on nous conseille  d’apporter avec nous de l’onguent de zinc pour les fesses irritées du bébé.  Imaginez ! À  cette époque de ma vie, je ne savais même pas ce qu’était  l’onguent de zinc et surtout pas pourquoi on devait appliquer cette substance sur les fesses de l’enfant.  Un jour, j’ai demandé à des amis qui m’accompagnaient dans un restaurant, à quoi servait l’onguent de zinc ;  pas besoin d’expliquer ici combien ma question fut tournée en dérision par mes  amis,  déjà parents depuis plusieurs années.  Enfin, comme on dit, il n’est jamais trop tard pour apprendre, même à quarante-deux ans.

De semaine en semaine, nous achetons des objets nouveaux que nous pensons  fort utiles pour notre enfant, en particulier des couches jetables, des pots de nourriture pour bébé, ainsi que des vêtements.  Je crois que nous avons acheté suffisamment de linge pour habiller tous les enfants des orphelinats de Roumanie, préférant en avoir trop que pas assez.  Durant les dernières semaines avant de partir pour Bucarest, je passe  aussi beaucoup de temps dans les magasins de jouets, me demandant alors quelle poupée ou quel animal en peluche je pourrais bien lui offrir au moment de notre retour.  Pour moi, c’est devenu comme un passe-temps d’aller dans de tels endroits. À  chaque fois,  je reviens chez moi avec un nouveau jouet  pour l’ange de Roumanie.

Quelques jours avant notre départ, Lise et moi organisons une réunion de famille avec tous nos proches, une soirée qui se veut comme un au- revoir à tous ceux que nous aimons.  À la fin de cette soirée, nous avons visionné une dernière fois avec nos amis, la cassette vidéo qui nous avait été remise par l’agence  et dans laquelle nous pouvons voir Alicia à l’orphelinat où elle vit.  Quelques larmes coulent  sur mes joues, tellement que je suis ému  de penser que dans quelques jours, ce merveilleux enfant sera avec nous pour toujours.  Un moment privilégié dans notre vie.

JUIN LE 18

C’est finalement en ce jour de  juin que nous quittons notre maison en direction de la Roumanie.  Comment ne pas faire le lien entre cette journée bien spéciale et l’anniversaire de naissance de mon père qui aurait eu soixante-douze ans ce dix- huit juin ?  Je suis convaincu que là où il est,  il doit  être très heureux de nous voir partir.  Avant de  quitter la ville, nous allons faire une dernière visite à l’agence d’adoption afin de saluer madame Simard qui a tant travaillé pour nous dans ce dossier.  J’ai comme la nette impression que je garderai pour toujours une place bien spéciale dans mon cœur pour cette bonne personne;  un peu comme pour les gens que j’ai connus à Bucarest lors de mon premier séjour en Roumanie.

En parcourant l’autoroute vingt qui nous conduit jusqu’à Dorval, je regarde le ciel et j’essaye  d’imaginer le moment magique où lorsque notre enfant viendra vers  nous.  Je tente de me rappeler son beau petit visage qui m’avait tant charmé lors de notre première rencontre,  l’hiver dernier. Cet événement  avait tant bouleversé ma vie.  Et à ce moment bien précis, ce qui me rend le plus heureux, c’est  de penser que je revivrai,  dans quelques heures,  des instants tous aussi émouvants,  mais doublement plus heureux car cette fois,  je serai avec Lise. En revoyant l’aéroport de Dorval et tous les  avions qui arrivent et décollent en même temps, je réalise alors que ce grand moment de bonheur approche de plus en plus.   Une fois dans l’aéroport, je revoie toutes les boutiques, tous  les kiosques à journaux ainsi que les bureaux de la douane que j’avais remarqués lors de mon premier passage en février.  On dirait que mon cerveau a tout enregistré, tellement que je me souviens même du visage des personnes y travaillent.  Un peu comme des enfants, nous remarquons les gros avions qui n’attendent que le signal du départ avant de s’envoler dans le ciel. Nous en sommes tout simplement émerveillés.  L’immensité de l’endroit nous fascine aussi, tellement peu habitués à voir autant de gens circuler en même temps au même endroit.  Rien de comparable avec notre petite ville se dit-on.

Finalement, lorsque l’heure du départ arriva, nous nous dirigeons vers le lieu d’embarquement de cet avion qui doit nous conduire jusqu’à Amsterdam.  Malgré que je me souvienne très bien du genre d’appareil dans lequel nous devons monter, je n’en suis pas moins impressionné par sa taille, me demandant de nouveau comment un si gros oiseau peut si facilement voler.

Plusieurs minutes plus tard, l’avion dans lequel nous avons pris place quitte le sol de notre pays en direction d’Amsterdam.  Encore une fois, je suis émerveillé par la facilité d’exécution des pilotes qui peuvent diriger ces immenses appareils.  À travers le hublot, j’ai l’impression de reconnaître les mêmes nuages qui étaient là en janvier dernier ; un peu comme s’ils m’avaient attendu pendant tout ce temps.  Quand je regarde en dessous,  je trouve  fascinant le spectacle qui s’offre à nous ;  la grandeur de nos  lacs, de nos rivières et de nos  forêts.  Mais qui a inventé tout ça?

En ce moment,  je me sens  heureux comme jamais juste à penser que notre petite Alicia nous attend.  Sur le siège à gauche, je regarde  Lise qui s’est endormie  et je me dis à quel point je suis  un homme chanceux qu’elle soit  encore près de moi après toutes ces années.  Plus j’y pense, plus je me dis que la vie est bonne pour moi de m’avoir donné cette femme que j’espère aimer jusqu’à mon dernier soupir.   Et j’essaye d’imaginer sa réaction lorsque l’on viendra déposer dans ses bras la petite Alicia.

Avant de partir, nous avons appris qu’Alicia ne s’alimentait pas correctement et qu’elle   était encore toute maigre.  À cette époque, elle n’avait que quatorze mois. Et nous savons  qu’à  l’orphelinat,  le manque de nourriture peut compromettre son développement ;  et je pense encore à ces idiots de bureaucrates qui ont retardé de plusieurs semaines le règlement final de notre dossier.  J’en avais encore la rage au cœur.  Comment ces gens peuvent-ils croire qu’ils font  un bon travail dans la société, alors qu’ils ne sont finalement que des emmerdeurs !  À cause d’eux, plusieurs autres enfants ont été retenus prisonniers plusieurs semaines dans les orphelinats de Roumanie, et certains ne s’en remettront peut-être jamais.  Allez donc expliquer cela aux  fonctionnaires, beaucoup plus motivés à créer de la controverse qu’à s’occuper du réel bien-être des citoyens d’un pays.  J’ai pitié d’eux.

Les agents de bord sont   d’une extrême gentillesse avec les passagers.  À un certain moment, lorsque la jeune femme de la ligne KLM vient  me présenter le choix du menu, j’ai envie de lui demander un repas bien simple.   Par exemple, une assiette  de fondue chinoise accompagnée d’escargots à l’ail,  ainsi  qu’une bonne salade au chou.  Comme entrée, j’aurais  exigé que l’on m’apporte une soupe aux légumes du pays, arrosée d’un bouillon de poulet assaisonné d’épices, ainsi qu’une salade verte, arrosée d’une vinaigrette roumaine.  Comme dessert, j’aurais exigé un gâteau forêt noire sur lequel on aurait étendu une délicieuse sauce au chocolat.  Bien entendu, ce repas aurait été accompagné d’un bon vin rouge de Roumanie, que l’on nous aurait servi dans des coupes de cristal ;  rien de moins.  Mais afin de ne pas intimider l’équipage, je dois me contenter de ce qu’on nous offre.  C’est quand même très délicieux.  


EN DIRECTION DU BONHEUR

Une fois arrivés à Amsterdam, je me rappelle chacun des endroits que j’avais remarqués lors de mon premier passage dans l’immense aéroport. Je suis   heureux de revoir ce lieu, et de regarder à nouveau tous les avions qui arrivent et décollent en même temps sous mes yeux.  Encore une fois, je ne peux oublier tous ceux qui se pètent les bretelles en parlant de notre  aéroport international de Québec Vraiment,  c’est  à n’y rien comprendre.

Quelques heures plus tard, nous quittons Amsterdam pour  Bucarest,  où nous savons qu’une petite fille nous attend.  En survolant l’Allemagne, je pense  à tous ceux et celles qui sont morts,  il y a de ça très longtemps, à cause de la folie d’un seul homme qui se croyait  plus grand que le reste du monde. Cela m’attriste beaucoup.  Cinquante ans plus tard, je demeure persuadé que plusieurs habitants de ce pays vivent encore dans la honte de cette affreuse guerre qui a terni à jamais l’image de l’humanité.  Un jour, ce beau pays fut scindé en deux parties ;  l’une pour les gens libres, l’autre pour ceux qui se sont vus alors privés du droit de s’exprimer.  Quelle misère ! Un peu comme en Roumanie d’ailleurs, où le peuple a tant souffert à cause de la folie d’un seul homme !  Mais la vie a voulu que toutes ces dictatures tombent au champs du déshonneur, et c’est tant mieux.

Depuis notre départ d’Amsterdam, je ne cesse de regarder en dessous de nous.  Je ne veux  pas manquer ce moment extraordinaire où nous traverserons la frontière de la Roumanie.  Pendant de longues minutes, j’essaye d’imaginer cette terre que j’ai appris à aimer lors de mon premier voyage et cela me rend heureux.  Quand je sens  que l’avion perd de l’altitude, je sais  que nous approchons de plus en plus de notre petite Alicia ;  c’est comme si j’entendais déjà son petit cœur battre pour nous.  Je suis  vraiment heureux de revenir dans ce merveilleux pays dont je me suis ennuyé depuis février.  Pas une seule journée, je n’ai cessé de penser à la magnifique semaine que j’avais passée là- bas.  Je pense alors à  Florian, à Mariana et aux autres que j’ai connus lors de mon premier passage en Roumanie, et cela me comble  de joie de réaliser que je les reverrai à nouveau.

Quand l’avion se pose finalement sur le sol roumain, je réalise encore plus la chance extraordinaire que nous avons de venir adopter Alicia.   Après des semaines d’espoir et de désespoir,  nous sommes enfin  là, sachant que le petit ange de Roumanie nous tendra la main dans quelques heures afin que nous puissions la tenir dans nos bras.  Bienvenue en Roumanie, bienvenue au pays de l’ange.

Dès notre arrivée à l’aéroport, je me sens très à l’aise, je  me souviens alors de cet endroit où nous devons payer la taxe d’accueil ainsi que le guichet des passeports.  Mon premier contact lors de notre arrivée à Bucarest est d’ailleurs très agréable.  Comment oublier le joli sourire roumain de la jeune préposée aux passeports !  Lorsqu’elle me demande pourquoi nous venons en Roumanie, j’ai  envie de lui dire : « Mais pour vous,  mademoiselle » !  Pas certain que ma femme apprécierait  tant de chaleur de ma part envers cette jeune fille !  Au moins, je lui ai rendu moi-même  un beau sourire.   Quelques minutes plus tard, je peux  finalement revoir Florian,  celui que j’appelle mon meilleur ami de l’autre côté de la planète.   Puis, je présente Lise à sa femme, Mariana.  Je suis tellement content de les revoir tous les deux.  Pour nous rassurer, ils nous avisent que dès le lendemain,  ils viendront déposer dans nos bras  l’ange de Roumanie. Nous sommes dans un autre appartement, plus près du centre- ville de Bucarest. Pour une première visite en Roumanie, Lise semble impressionnée par la beauté de la ville, sauf une chose :  les chiens.  Eh oui, mes amis ne m’ont pas oublié.  Ils sont là dehors, jappant sans cesse, comme s’ils devinaient que je suis  de retour. « Salut les copains, est-ce que vous vous êtes ennuyés de moi ? »  Au début, ces chiens m’ennuyaient, mais à la longue, je m’y suis habitué.  Nous sommes fatigués, épuisés même,  après  ce très long voyage. Quelques heures plus tard, nous décidons de nous reposer dans notre chambre car le lendemain sera un jour vraiment pas comme les autres.   Tout juste avant de m’endormir, ma dernière pensée est pour Alicia, ce petit bout d’ange à qui la vie va bientôt permettre d’accrocher son destin au nôtre, et ce,  pour l’éternité. Que d’émotions !

Tôt le matin, samedi vingt juin 1998,  En me levant, je prends mon déjeuner préféré : deux œufs, rôties et un bon café.  Un peu comme chez moi d’ailleurs.  Je me souviens que j’étais très nerveux lors de ce déjeuner,  que je prenais seul.  J’ai aussi l’impression que j’ai passé de longues minutes à m’examiner dans le miroir, comme un jeune adolescent qui sait qu’il va bientôt rencontrer la fille de ses rêves.  Mais cette fois, je savais que la fille en question est très petite, minuscule même, l’ayant déjà prise dans mes bras quelques mois auparavant.  Plusieurs fois depuis ce moment magique, j’ai cru que jamais plus je ne la reverrais, comme si notre rêve n’allait jamais se réaliser.  Combien de nuits, depuis, n’ai-je pas passées à revoir son  petit visage qui m’avait tant charmé à l’orphelinat ?  Combien de fois,  en écoutant la musique des Beatles, j’imaginais le jour où tous les deux nous chanterions leurs chansons, criant au monde entier que l’amour est plus fort que tout ?    Pendant toutes ces semaines d’attente je ne rêvais qu’à ce moment unique où finalement l’ange de Roumanie viendrait à nous.  Mais en ce matin du vingt juin, je sais  que cette petite fille sera au  rendez-vous avec le destin, et que plus jamais je ne laisserai la vie nous séparer.  Je me disais aussi que c’est le début d’une nouvelle vie, pour Lise et moi, habitués que nous sommes à ne penser qu’à nous.  Dorénavant, il faudra  penser à Alicia avant tout.  Je sent alors que tout ne sera, pour moi, que la continuité d’une existence exceptionnelle que j’ai déjà avec ma femme, comme si le ciel me faisait une autre faveur, celle d’ajouter ce grand bonheur à ma vie.

Vers onze heures, comme prévu, Florian et Mariana arrivent avec notre petit ange dans leurs bras.   Aussitôt entrés dans l’appartement, ils s’approchent de Lise, lui tendent l’enfant qu’elle accueille avec tendresse. En apercevant  le beau petit visage d’Alicia, je me souviens du moment extraordinaire vécu en février dernier, où j’avais rencontré la petite  pour la première fois.  Mais cette fois, je n’ai même pas envie de pleurer, trop heureux de la serrer à mon tour dans mes bras et de réaliser qu’enfin, cette merveilleuse enfant est à nous.  Je la serre tellement fort contre ma poitrine que j’ai  peur de briser son corps  fragile.  Elle est si petite, la pauvre enfant !  Mais elle est le plus bel enfant de toute la Roumanie, peut-être même du monde entier.  Lise et moi, on se l’échange, un peu comme ces champions du hockey qui s’échangent la coupe Stanley. Finalement, elle se met à pleurer, de faim probablement, et dans les minutes qui suivent, c’est notre  expérience de parents qui commence. 

À partir de ce moment merveilleux, plus rien d’autre ne compte pour moi.  Je ne pense plus à ces imbéciles du monde entier qui répandent la haine entre les nations, j’oublie le pauvre dollar canadien qui ne cesse de perdre de la valeur, je ne pense plus  à ces pauvres gens d’Amérique du sud qui viennent de subir un tremblement de terre dévastateur, et je ne me souviens même plus du solde à payer sur mes cartes de crédit.  Je me dis  que plus rien, absolument rien, ne sera plus important que l’avenir et le bonheur de notre enfant.  Même quand je serai très vieux, jamais je n’oublierai cette journée merveilleuse du vingt juin 1998.  À chaque année, en ce jour, et ce, jusqu’à la fin de ma vie, je changerai l’heure de ma montre et je placerai les aiguilles selon l’heure  de Bucarest, afin d’être certain que je revivrai à chaque fois ce moment unique.  Non, jamais je n’oublierai ce jour béni où Alicia est venue prendre sa place dans notre vie ; ça jamais.

 

 

NOUVELLE VIE

Nos premières heures avec Alicia sont très agréables pour nous même si toutes nos habitudes de vie sont alors remises en question.  Plus question de traîner dans notre lit lorsque l’estomac de notre fille crie famine ;  il faut donc se lever, préparer le repas, changer ses vêtements et surtout, ne pas oublier de lui dire combien nous l’aimons.  C’est véritablement le début d’une nouvelle vie pour nous deux. 

Je me souviens très bien combien furent agréables les premières nuits dans notre appartement de Bucarest. L’enfant dormait  tout juste à ma gauche près de notre lit.  Souvent, lorsque je me réveillais pendant la nuit, j’écoutais attentivement le souffle de notre petite fille qui dormait à mes côtés, et je trouvais cela merveilleux.  Pendant qu’elle dort, il m’arrive d’étirer mon bras et de le passer à travers les barreaux de son lit afin de toucher son petit visage que je devine toujours beau dans la noirceur de la pièce.  Je trouve désolant de constater que  les barreaux de son lit étaient son seul jouet, les seuls amis qu’elle avait véritablement connus jusqu’à ce moment.   Cela fait vraiment pitié de la voir cajoler les barreaux de lit, alors qu’elle crie d’horreur à la seule vue d’un beau petit chat en peluche que nous lui avons apporté.  Mais il faut comprendre et réaliser combien les quatorze premiers mois de sa vie furent complètement dénués d’affection et d’amour et cela nous fait aussi réaliser combien notre présence à ses côtés sera importante.

Dès nos premiers jours avec Alicia, je crois avoir découvert quelque chose que j’ignorais pouvoir  exister en moi :  mes aptitudes dans un nouveau rôle, celui de papa.  J’adore déjà préparer ses repas, la laver, l’habiller, changer ses couches, mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est de la prendre dans mes bras et lui dire combien je l’aime.  Tous les matins, lorsque je me lève, je prépare son lait et son plat de céréales, et j’y met tout mon cœur, malgré que mes compétences en la matière semblent alors assez limitées.  Malgré tout, je crois avoir été un très bon élève pour Mariana, l’épouse de  Florian, qui m’a tout appris concernant mon nouveau métier de père.  Lorsqu’elle vient à l’appartement, j’écoute ses conseils et je lui pose beaucoup de questions concernant les soins à apporter à l’enfant.  Surtout concernant le fameux onguent de zinc que nous avons apporté dans nos bagages et que nous devons appliquer sur les fesses irritées de la petite.  En l’espace de quelques jours, j’ai acquis beaucoup de connaissances en ce qui concerne les bébés, et pour toujours, j’en serai reconnaissant envers Mariana, cette bonne personne qui aura toujours  une place importante dans mon cœur.

S’occuper d’un enfant est un travail d’équipe.  J’ai pu transmettre toutes mes nouvelles connaissances à Lise, qui semble un peu plus lente que moi à bien maîtriser son nouveau rôle.  Mais le surnom de « père coq » que des amis de Bucarest m’ont donné, semble vraiment très révélateur du genre de père que je suis devenu ;  un papa omniprésent, qui ne laisse pas une seule minute sa petite adorée, et qui ne vit plus que pour celle qu’il a tendrement surnommée « l’ange de Roumanie ».

À chaque matin, Lise, Alicia et moi partons faire une marche dans la ville de Bucarest.  Je me sens si heureux de me promener dans les rues de cette ville;   comme si le grand rêve de ma vie d’aller un jour en Roumanie semblait ne plus vouloir se terminer.  Je me souviens en particulier de cette ballade avec Florian dans un parc du centre- ville, un endroit magnifique, rempli de beaux arbres et de verdure, un parc qui pourraient faire l’envie des amants de la nature du monde entier.  Comment oublier ces minutes tout à fait spéciales où j’ai réalisé que Florian était devenu mon meilleur ami de l’autre côté de la terre.  Encore aujourd’hui, je me fais un devoir de lui écrire  et de lui envoyer des photos de nous, histoire de lui dire que nous ne l’avons pas oublié.

En marchant dans les rues de Bucarest, mes bons amis les chiens  nous suivent partout, comme s’ils ne voulaient pas que je retourne au Canada.  Malgré qu’on m’ait dit beaucoup de mal de ces pauvres bêtes abandonnées, je crois que je leur trouve un certain charme, et je ne me sens pas  intimidé par eux.  Mais j’avoue que certains d’entre eux ne demandent pas trop d’affection. Le chien errant ne demande rien de toutes façons.

Pendant que nous marchons dans les rues de la ville, la petite Alicia est  fort calme et regarde partout.  Pour elle, c’est  véritablement la découverte de l’univers car les quatorze premiers mois de sa vie en institution ne lui avaient jamais permis de voir ni ciel ni terre.  Malgré tout, elle semble déjà apprécier ses premiers instants en compagnie de ses nouveaux parents et en plus, elle n’a même plus peur des chiens.  Tout en contemplant la beauté de cette ville, je crois qu’en aucun moment je n’ai cessé de regarder notre enfant, qui semble pourtant si heureuse dans l’inconfort du petit carrosse que nous avons apporté avec nous.   Mais déjà, dans le fond  de mon cœur, germe  une peur maladive de perdre un jour ce grand amour que le ciel venait de déposer dans ma vie, comme pour ternir un peu ces grands moments de joie.  Plusieurs mois plus tard, je ne crois pas avoir encore réussi à éliminer cette crainte que la Vie pourrait cruellement nous enlever ce petit bout d’ange que nous aimons tellement.  Je serai donc toujours un homme rempli d’angoisse.


SOUVENIRS D’HIVER

Mardi le vingt- trois juin. Vers dix heures de l’avant midi, nous quittons l’appartement pour nous rendre au bureau de l’agence d’adoption de Bucarest, qui dirige toutes les activités concernant les adoptions en Roumanie, et ce, en collaboration avec l’agence de Québec.  Je suis très enthousiaste  de retourner dans ces bureaux du centre ville, sachant que je vais  revoir les trois personnes qui y travaillent.  Dans mes bagages, j’ai apporté un petit cadeau pour chacune des trois filles qui travaillent  au sein de la fondation « Un viitor pentru toti copiii »  (une vie meilleure pour les enfants), un petit geste amical, afin de les remercier de leur dévouement dans notre dossier.

Une fois rendus, il me fait plaisir de revoir Cristiana, Ruxandra ainsi que celle qui avait voyagé avec moi jusqu’à Sibiu, Nela.  Je me souvenais de chacune d’elle, particulièrement Nela, que j’avais trouvé fort charmante et combien jolie lors de notre première rencontre en février dernier. C’est  vraiment un très grand plaisir pour moi de revoir ces trois personnes, de qui je veux conserver un très beau souvenir. 

À cette occasion, on nous remet tous les papiers exigés par le service d’immigration du Canada.   Dans ces documents se retrouve  aussi le passeport d’Alicia, devenu nécessaire pour la sortir  de Roumanie.  Quelque chose me frappe en regardant à l’intérieur du passeport de notre fille : la photo qu’on avait prise d’elle à l’orphelinat.  En regardant attentivement Alicia, on remarque un enfant dont le regard affiche une grande  tristesse. Cela est bouleversant. Même aujourd’hui, j’ai encore beaucoup de misère à regarder cette photo de notre enfant entourée des barreaux de son lit à l’orphelinat.  Mais enfin, nous avons tous les documents nécessaires, et nous jugeons que c’est le plus important.

Le lendemain matin,  mercredi le vingt- quatre, je réalise alors que c’est notre dernière journée en Roumanie.  D’un côté, j’ai hâte de revoir ma famille, mais de l’autre, je suis triste de penser que nous devons nous séparer de nos bons amis de  Bucarest, en particulier de Florian avec qui j’ai passé tant de bons moments.  Mariana aussi va me manquer.  Je pense aussi aux trois filles de la fondation et je me considère chanceux d’avoir fait leur connaissance.   Dans mon for intérieur, je crois que je craignais  de ne plus jamais les  revoir.   Même les chiens vont me manquer, dis-je à Lise.  Pour oublier cette peine, je regarde Alicia en me disant qu’au moins, nous allons ramener avec nous le plus bel ange de toute la Roumanie, et que pour toujours, cette petite fille embellira notre existence.  Elle est devenue le cadeau que la Roumanie nous offre avant de partir, un geste d’amour qui restera gravé  à jamais au fond de notre cœur.

 


ON SE REVERRA UN JOUR !

Jeudi, vingt- cinq juin.  Je me souviens combien j’avais l’air songeur une fois que l’avion fut décollé.   Je revoie dans ma tête cette scène déchirante dans l’aéroport lorsque Florian me serra dans ses bras en me souhaitant une belle vie avec notre enfant.  C’était triste et beau à la fois.  Malgré cette peine, je commence à avoir hâte de revoir les miens, ma famille, mes amis, même mes trois chats.  En survolant la Roumanie, je regarde par le hublot, en montrant du doigt, à Alicia, ces immenses champs où les courageux cultivateurs roumains travaillent avec tant d’efforts afin d’y trouver une raison de vivre.  Si Alicia pouvait  parler, elle me dirait probablement quelque chose comme ceci :

 - Regarde papa,  en dessous de nous, il y a un train qui s’en va là-bas ! 

 - C’est certainement le train qui s’en va à Sibiu, chère petite.  Peut-être y- a t- il d’autres petits anges comme toi dans ce train !

- Dis papa, pourquoi tu es triste ?

 - Parce que je sais que je vais m’ennuyer de la Roumanie.  C’était mon rêve de venir ici, et jamais je ne pourrai oublier les bonnes personnes que j’y ai rencontrées, tu sais !

 -  Papa, j’aime pas ça quand tu es triste.

 - Moi non plus,  j’aime pas ça.  Mais j’ai peur que plus jamais je ne puisse revoir mon ami Florian ;  il va me manquer.

 - Quand est-ce qu’on revient en Roumanie,  papa ?

 - Je ne sais pas, Alicia, je ne le sais vraiment pas !

 - Dis papa !

 - Quoi ?

 

 - Je t’aime !

 - Moi aussi,  je t’aime. 

Je ne sais pas s’il y aura une suite à cette histoire fantastique.  L’expérience de la vie m’a appris de ne  jamais dire « jamais ».  Aujourd’hui, tout ce qu’il me reste à espérer, c’est que quelque part dans notre vie, il y ait pour nous un autre rendez-vous avec ce merveilleux pays.  Mais si nous n’y retournons pas, je crois que nous conserverons pour toujours un souvenir extraordinaire de toute cette aventure.  Et heureusement près de nous, il y aura à jamais l’ange de Roumanie, qui lui, nous rappellera sans cesse que ce pays est exceptionnel et que les gens qui y vivent sont merveilleux.

Au revoir,  Roumanie


L’AMOUR, LA PAIX, LE DESTIN……..

Quelques années plus tard, notre petite Alicia se porte à merveille. Elle parle beaucoup, démontre beaucoup de lucidité,  et surtout, elle est resplendissante de bonheur.   Nous sommes très heureux de la façon dont elle évolue.  

Quand Nadia Comaneci remporta les médailles d’or aux jeux olympiques  de 76, je crois que,  sans le savoir, ma vie a pris   un tournant inattendu.  Comme la plupart des Québécois, je fus charmé par la jeune Roumaine,  et cela  fit en sorte que je m’intéresse de plus en plus à ce pays.   Souvent,  je faisais part  à des amis de mon intention  d’aller un jour   visiter ce lointain pays.  J’ignorais  que je n’allais réaliser ce rêve que très longtemps plus tard. Quand  eut lieu  la révolution roumaine,   en décembre  89, j’écoutai les nouvelles à la télévision et je me sentis préoccupé, comme si  c’était mon propre  pays.  Le destin avait déjà choisi pour moi. Il était écrit quelque part,  dans le grand livre de ma vie,  que je m’y rendrais un jour.   Depuis que j’ai quitté la Roumanie avec notre enfant, en juin 1998, pas un seul jour je n’ai oublié de penser à tous ces moments merveilleux que j’y ai vécus.  Ces souvenirs resteront pour moi des heures  inoubliables, des instants de bonheur  à jamais inégalés.  Mais cela aurait bien pu ne jamais arriver. .

Les derniers événements du World Trade Center m’ont  fait réaliser combien la politique peut engendrer la haine entre les peuples et je trouve cela fort regrettable. Nous avons tous vécu des moments de grande angoisse  alors que  la guerre froide entre le Bloc soviétique et l’Occident était à son paroxysme.   Qui avait tort, qui avait raison?  D’après moi, personne ne possède  la vérité.

Je me souviens combien  nous détestions les équipes soviétiques de hockey les premières fois qu’elles venaient jouer des matchs internationaux contre les meilleurs joueurs de  la ligue nationale.  En réalité, nous assistions plutôt à un affrontement entre  deux systèmes : le monde occidental contre   le  monde communiste.  Cela dépassait l’essence même du sport; il fallait à tout prix battre les « méchants » communistes qui osaient nous défier dans un domaine où notre domination était sans équivoque.  Comme bien d’autres, je souhaitais de tout mon cœur que notre équipe pulvérise celle de la Russie. Et je suis certain que les gens vivant dans ces pays d’Europe de l’Est nourrissaient les mêmes ambitions que nous.  Au fond de nos  cœurs, la haine contre un  peuple et son  système passait avant tout.

Je regrette maintenant toutes ces années de haine et de méfiance entre les peuples de l’Occident et ceux des pays  de l’Est. Le regretté  John Lennon avait bien raison quand il écrivait ces paroles magnifiques de la chanson Imagine :  « Un monde sans frontières, sans possessions et sans haine ».  Mais avons-nous vraiment mis cela  en pratique dans   nos vies?  Les pays du monde  n’ont-ils pas plutôt multiplié les guerres et les actes de violence partout sur la planète depuis ce  temps ? Cela est une véritable honte pour l’humanité. 

Tout au long de notre vie, je souhaite pouvoir inculquer à notre fille les plus belles valeurs humaines qui soient;  l’amour inconditionnel envers son prochain,   l’ouverture d’esprit envers les autres cultures, les autres religions et les races différentes de la nôtre, et surtout, le plus grand respect envers les opinions d’autrui.  Au moment où nous vivons des heures déterminantes dans l’histoire de l’humanité,  je me dis que ces belles valeurs demeurent peut-être la seule façon de sauver notre monde de l’apocalypse.  Je regrette profondément que la race humaine ne semble pas vouloir suivre cette voie.

Je me considère comme un ami du peuple roumain, peut-être le meilleur de tous.  Je prie le Ciel afin que ce beau pays puisse un jour trouver sa voie, que tous les  Roumains puissent y vivre décemment, dans un climat de joie et de prospérité économique.  J’espère aussi que les dirigeants de la Roumanie pourront un jour offrir à tous leurs  citoyens une vie meilleure,  particulièrement à tous les petits enfants abandonnés dans les orphelinats, qui vivent  dans des conditions souvent atroces.  Alicia a eu une chance que d’autres n’ont pas eu  et qu’ils  n’auront peut-être jamais;  cela me brise le cœur et me révolte à la fois.

Un jour, je retournerai en Roumanie, cette fois avec notre fille.  Je veux lui faire visiter son pays d’origine, je veux qu’elle voit d’où elle vient,  et surtout, je souhaite lui faire comprendre pourquoi son destin l’a amenée vers  nous.  Dans le fond de mon cœur, elle demeurera à jamais  une petite Roumaine même si elle grandit et vit dans notre pays.  Que Dieu protège la Roumanie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

REMERCIEMENTS

Ce fut un choc terrible pour nous d’apprendre,  en juin dernier,  le décès de madame Louise Simard, fondatrice et directrice de l’agence québécoise d’adoption internationale.   Je lui avais parlé quelques semaines auparavant,  mais j’ignorais à ce moment-là qu’elle était très malade.   Nous ne pourrons jamais oublier madame Simard.  Je dirai toujours que c’est grâce à elle si Alicia  est avec nous aujourd’hui et que beaucoup d’autres petits enfants abandonnés de Roumanie ont eu droit à une vie meilleure.  Son souvenir demeurera  gravé dans nos cœurs pour toujours, jamais nous n’allons  l’oublier.

Je ne peux passer sous silence la contribution de madame Pierrette Martel, qui nous a accompagnés tout au long de cet interminable processus d’adoption.  Comment vous oublier madame Martel ?

Nous conserverons également un profond respect  pour Karyne Fournier et Elena Moldovan de l’agence d’adoption, deux personnes   qui n’ont jamais cessé de nous encourager tout au long de ce long et  sinueux chemin.  Nous vous souhaitons une vie remplie d’amour et de joie, et ce, pour toujours.

La Vie a permit que naisse  une belle amitié entre nous et la famille de Florian et Mariana que nous revoyons toujours avec grand plaisir lorsqu’ils viennent à Québec comme escorte pour des petits enfants roumains.  Nous souhaitons de tout notre cœur que cette amitié ne cesse jamais de grandir. 

Une pensée bien spéciale pour les  employées de l’agence d’adoption de Bucarest, Ruxandra, Cristiana et bien entendu,  Nela,  avec qui j’ai voyagé jusqu’à Sibiu. 

 

Nela, on m’a dit que tu vivais  maintenant au Canada.  J’espère de tout mon cœur  que tu as pu y trouver le bonheur et l’amour.   Je conserverai toujours un très beau souvenir de toi.

Je ne peux oublier de souligner l’apport des  membres de ma famille;  maman, ma sœur bien aimée et son mari, ma belle-mère,  ainsi que mes belles- sœurs Hélène et Chantal, qui n’ont jamais cessé de nous appuyer tout au long de notre démarche.  Je pense aussi à mon père qui a veillé   sur nous là où il est.  J’aurais aimé qu’il connaisse Alicia, qu’il la prenne dans ses bras afin de lui dire qu’il  l’aime comme il nous a toujours aimés.   Un jour, je dirai à Alicia que son grand-père était un homme merveilleux, peut-être le meilleur de tous.

Je dois aussi rendre hommage à mon épouse Lise,  qui n’a jamais cessé de croire  en notre projet. Sans son appui inconditionnel, sans son courage et sa force de caractère, j’imagine  que je n’aurais su résister longtemps devant tous les impondérables qui sont le lot des adoptions avec  les pays étrangers.  Grâce à toi, Lise, notre vie s’est embellie, la présence  d’Alicia n’est finalement que le complément de la vie merveilleuse que nous avons toujours eue, toi et moi.  J’espère tout simplement que le Ciel nous permettra de rester unis jusqu’à la fin des temps.

Roumanie, je t’aimais déjà avant de te voir et je crois que je t’aimerai toujours. Tu nous as donné un ange de ton pays, un enfant magnifique,  et pour cela, je garderai toujours un très beau souvenir de toi.   Prends soin de toi,  Roumanie ma chère, quel magnifique pays tu es !

 

Richard Desrochers